Un célèbre acteur américain est photographié à son insu sur une plage où il se délassait. Une université distribue au public, lors d’une exposition, des DVD comportant à titre de « bonus » les rushes d’un documentaire scientifique. Autant de sujets récents* qui précisent le droit à l’image et le droit voisin.

Leonardo à la plage

Voici d’abord Leonardo Di Caprio à la plage (en France). Un photographe de l’agence KCS Presse immortalise ce grand moment et vend les clichés au magazine Lui qui les publie dans son numéro du 19 juillet 2015. Les photographies sont également diffusées sur des sites internet. Tout cela sans l’autorisation de l’acteur. Celui-ci prend connaissance de la publication et décide d’assigner la société Lui et l’agence KCS devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Il soutient que la captation et la commercialisation des clichés ont violé son droit à l’image et lui ont occasionné un préjudice moral. Il réclame des dommages-intérêts ainsi que l’interdiction de commercialisation des clichés.

En première instance, le tribunal met hors de cause la société Lui contre laquelle l’acteur ne forme en réalité aucune demande. Il rejette la demande relative aux photographies publiées sur internet. Il condamne en revanche la société KCS à réparer le préjudice moral subi par l’acteur à raison de la captation et de la commercialisation des clichés.

La cour d’appel de Paris infirme toutefois le jugement sur ce dernier point, privant l’acteur de toute indemnisation.  Selon elle, la société KCS n’a commis aucune faute dès lors que l’acteur n’apporte pas la preuve que les clichés qu’elle a pris ont été vendus à la société Lui. Autrement dit, pour la cour, seule la commercialisation des clichés était de nature à caractériser une faute de l’agence de presse et à justifier une indemnisation de l’acteur. 

C’est sur ce point que la Cour de cassation contredit la cour d’appel, le 2 juin 2021. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle énonce d’abord que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation : la seule constatation d’une atteinte à ce droit ouvre donc droit à réparation. Concrètement, la maîtrise par l’individu de son image implique donc dans la plupart des cas la possibilité de refuser la diffusion de son image et comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui.

Pour la Cour de cassation, ce n’est donc pas la seule commercialisation de la photographie qui porte atteinte au droit à l’image mais la seule prise du cliché en cause, c’est-àdire la simple captation de l’image : « L’image étant l’une des caractéristiques attachées à la personnalité de chacun, sa protection effective présuppose, en principe, le consentement de l’individu dès sa captation et non pas seulement au moment de son éventuelle diffusion au public. »

La cour d’appel s’est donc trompée en ne recherchant un éventuel préjudice que dans une éventuelle commercialisation du cliché. Elle aurait dû tenir compte de ce que la captation sans son consentement de l’image de l’acteur lui occasionnait à elle seule un préjudice moral. Il reviendra à la cour d’appel de Versailles de se prononcer sur ce point. Il faut en conclure que l’« intrusion
photographique » non consentie dans la vie privée d’une personne est toujours fautive, même si à cette première faute peut s’en ajouter une seconde consistant à commercialiser et diffuser le cliché. Il peut en aller autrement lorsque la photographie contribue à un débat d’intérêt général ou se rattache à un événement public concernant la personne représentée. Mais ici, Leonardo était seulement à la plage…

Einstein à la Sorbonne

Pour célébrer les cent ans de la théorie générale de la relativité, l’Université Pierre-et-Marie- Curie (Paris-VI), rattachée aujourd’hui à Sorbonne Universités, a demandé en 2015 à une société de production audiovisuelle de réaliser un film intitulé : Einstein et la relativité générale, une histoire singulière.
La société de production audiovisuelle Look at Sciences a conclu avec un réalisateur un contrat de cession de droits d’auteur. Le contrat prévoyait notamment que ni le réalisateur ni le producteur ne pourrait exploiter les rushes non montés sans autorisation réciproque, expresse et préalable des parties contractantes. Quelques mois plus tard, la société Look at Sciences a conclu avec l’université une convention de cession de ses droits d’exploitation du film sur tous supports : cette cession ne s’étendait cependant pas aux rushes. Pourtant, à l’occasion d’une exposition organisée fin 2015 début 2016, l’université a distribué gratuitement au public des DVD du film qui incluaient les rushes parmi les  « bonus ».

L’université les a en outre projetés sur un écran. Estimant que l’exploitation des rushes du film avait porté atteinte à ses droits, la société Look at Sciences a assigné l’université en contrefaçon et réparation du préjudice résultant de l’atteinte à ses droits patrimoniaux. Le TGI puis la cour d’appel de Paris ont toutefois rejeté sa demande au motif qu’en l’absence d’autorisation du réalisateur, elle ne pouvait pas se prévaloir du droit d’exploitation des rushes.

Le 16 juin 2021, la Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’appel, sur deux points principaux.
En premier lieu, elle reproche à celle-ci d’avoir déclaré la société de production irrecevable à agir en contrefaçon au titre des rushes. Car, selon la Cour de cassation, en sa qualité de société de production audiovisuelle et plus particulièrement en sa qualité de productrice de vidéogrammes (notamment DVD), la société Look at Sciences était titulaire du droit d’autoriser la reproduction, la mise à la disposition ainsi que la communication au public des rushes.

Le producteur de vidéogrammes est en effet titulaire du droit voisin et exclusif d’exploitation du vidéogramme, ce droit incluant les rushes. Cela signifie que le producteur audiovisuel peut cumuler les droits qu’il a acquis en vertu du contrat de production audiovisuelle (le contrat conclu avec le réalisateur qui le fait co-auteur du film) avec le droit voisin qu’il acquiert par ailleurs en qualité de producteur de vidéogrammes puisqu’il a à ce titre la responsabilité de la première fixation d’une oeuvre audiovisuelle au sens de l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle.

Il faut ainsi distinguer le droit d’auteur de cette oeuvre, dont disposent tant le réalisateur que le producteur de l’oeuvre, du droit voisin d’exploitation, dont dispose seul le producteur de vidéogrammes. Ces droits sont indépendants et c’est pourquoi le producteur de vidéogrammes pouvait agir seul, sans l’autorisation du réalisateur, contre l’exploitation non consentie des rushes dans les vidéogrammes.

En second lieu, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté les demandes du producteur au titre du contrat de cession de ses droits d’exploitation du film sur tous supports conclu par la société Look at Sciences et Sorbonne Universités. La Cour estime en effet que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’université n’avait pas manqué à son obligation d’exécuter ce contrat de bonne foi en exploitant les rushes sans l’autorisation du producteur.

Elle devait connaître en effet la nécessité de cette autorisation puisque la cession prévue par le contrat ne s’étendait pas aux rushes. Il reviendra là encore à la cour d’appel de Versailles de se prononcer sur le préjudice subi par la société Look at Sciences.

Frédéric Dieu

* « Cour de cassation, 2 juin 2021, L. Di Caprio c/ Société KCS Presse et autre, n° 20-13.753 ; Cour de cassation, 16 juin 2021, Société Look at Sciences, n° 19-21.663 ».