Commençons par un peu d’histoire. C’est à compter du XIe siècle que les artisans et les marchands des villes, ceux qui exercent un métier manuel et ceux qui possèdent un commerce, décident de se regrouper afin de s’entraider. Ils forment alors des associations connues sous le nom de corporations. Celles-ci permettent l’enrichissement des villes et leurs membres forment une communauté unie autour de la pratique d’un même métier.

L’alternance de nos jours

Les corporations ont donc besoin de travailleurs pour se développer et se perpétuer. Elles accueillent les garçons à partir de douze ans pour leur apprendre un métier bien souvent imposé par le père et non choisi par l’enfant lui-même. Signe des temps qui restent à parcourir, les corporations acceptent rarement les filles, lesquelles restent à la maison auprès de leur mère pour apprendre la cuisine et les savoirs nécessaires à la tenue de la maison. Elles peuvent parfois, quand elles sont adolescentes, aider de temps en temps dans un commerce, en servant en boulangerie ou en conseillant la clientèle chez le drapier. 

Les choses ont bien changé depuis le Moyen Âge. De nos jours, environ 3 % des filles scolarisées en troisième choisissent le statut d’apprenti pour préparer un CAP ou un baccalauréat professionnel. Du côté des garçons, c’est environ 7 % d’une même classe d’âge qui devient apprenti. Cette féminisation en cours se retrouve dans les formations liées au spectacle vivant. Aujourd’hui, si l’apprentissage existe toujours, il a créé une cousine : la professionnalisation. Chacun donne lieu à son propre régime juridique et à son propre contrat. Ensemble, ils forment le système de formation dit de l’alternance. Ils conjuguent formation théorique dans un établissement d’enseignement et formation pratique en entreprise. Ce mode de formation se veut pleinement rassurant pour celui qui reçoit l’enseignement et apprend un métier comme pour celui qui le dispense et entend pourvoir à un besoin de recrutement. Avant d’aller plus loin, deux nota bene. Le premier : cet article n’a pas pour but d’être pleinement exhaustif ou précis sur le fonctionnement de l’alternance. Le seul sujet des aides financières pourrait donner lieu à un numéro spécial de cette publication !

Le second : il n’existe a priori pas de spécificité juridique de l’alternance dans le monde du spectacle. L’accord cadre relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des salariés des entreprises de spectacle vivant du 17 février 2020, étendu par arrêté du 2 juillet 2021, rappelle surtout les termes de la loi en matière de contrat de professionnalisation. Cela étant dit, les deux contrats s’appliquent, en ce qui nous concerne, aux métiers définis à l’annexe VIII (technicien ouvrier) au règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage. Difficile en effet d’imaginer des formations en alternance pour des artistes. Pourquoi pas ? me direz-vous. En tout état de cause, l’accord interbranche relatif aux modalités d’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie pour les salariés intermittents du spectacle du 25 septembre 2014 et ses deux avenants n’en font pas mention. Mais les types et durées des contrats d’alternance et de professionnalisation diffèrent. Car l’apprentissage est lié au cadre de la formation initiale, tandis que la professionnalisation est liée à celui de la formation continue.

Alternance et professionnalisation : ce qui les différencie

La nature et la durée du contrat
C’est le point de départ d’un tableau des différences que nous pouvons brosser. Ainsi, l’apprentissage peut être fait dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée (CDI) ou d’un contrat à durée limitée (CDL). Lorsque le contrat de travail est un CDL, il s’effectue normalement sur la durée de la formation jusqu’au diplôme. Il peut alors varier de 6 à 36 mois en fonction du type de profession et de la qualification préparée. Alors qu’un contrat de professionnalisation peut se faire en CDI ou en contrat à durée déterminée (CDD). 
Dans ce deuxième cas, sa durée est comprise entre 6 et 12 mois mais peut être rallongée jusqu’à 36 mois dans certains cas exceptionnels visant à favoriser l’insertion des plus précaires scolairement parlant.

L’objectif du contrat

Dans les deux cas, le contrat a pour but de déboucher sur une qualification professionnelle (diplôme, CQP, titre, etc.). Cependant, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a vu naître, à titre expérimental, un contrat de professionnalisation dérogatoire qui ne doit alors pas impérativement déboucher sur l’obtention d’une qualification professionnelle reconnue par l’État ou les branches professionnelles.

Dans ce cadre, l’employeur peut définir, en lien avec l’alternant et avec l’appui de son OPCO (opérateur de compétences), un parcours de formation sur mesure fondé sur les compétences à acquérir et qui ne sera donc pas nécessairement certifiant. Initialement prévu jusqu’à la fin 2021, cette expérimentation a été prolongée jusqu’au23 décembre 2023.

L’âge minimum et l’âge maximum
L’impétrant apprenti doit avoir entre 16 et 29 ans. Mais la limite peut être repoussée dans certaines conditions, notamment lorsqu’il veut signer un nouveau contrat pour accéder à un niveau de diplôme supérieur à celui déjà obtenu. Il n’y a pas de limite d’âge pour certaines situations (si l’apprenti est reconnu travailleur handicapé, s’il envisage de créer ou reprendre une entreprise supposant l’obtention d’un diplôme, etc.). Du côté de la professionnalisation, il faut avoir entre 16 et 25 ans. Les bénéficiaires de certaines allocations (revenu de solidarité active, allocation adulte handicapé et allocation de solidarité spécifique) n’ont pas d’âge limite. Les demandeurs d’emploi de plus de 26 ans sont aussi les bienvenus dans la formation.

La part de la formation dans le temps du contrat
Durant le temps du contrat, l’apprenti est formé pendant au moins 25 % de celui-ci. En contrat de professionnalisation, la formation prend de 15 à 25 % du contrat avec un minimum de 150 heures.

La rémunération
Suivant l’âge et le niveau d’études, la rémunération de l’apprenti varie de 27 % à 100 % du SMIC à moins qu’il ne bénéficie du salaire minimum conventionnel si celui-ci lui est plus favorable. Dans le cadre de la professionnalisation, le salaire se situe entre 55 % et 100 % du SMIC, toujours suivant l’âge et le niveau d’études, ou 85 % de la rémunération minimale prévue par la convention collective ou l’accord de branche de l’entreprise si celle-ci cette rémunération est plus élevée. L’article 2.5.5 de l’accord cadre relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des salariés des entreprises de spectacle vivant du 17 février 2020 fixe les niveaux de rémunération du salarié dans le cadre de la convention du spectacle vivant.

Alternance et professionnalisation : ce qui les rassemble

Le type d’employeur

Du côté des points communs, tous les employeurs de droit privé, y compris donc les associations, assujettis au financement de la formation professionnelle continue peuvent conclure des contrats d’alternance ou de professionnalisation.

La formation du contrat
L’employeur qui recourt au contrat d’apprentissage ou de professionnalisation doit transmettre celui-ci à son OPCO avant le début de l’exécution du contrat ou, au plus tard, dans les cinq jours ouvrables qui suivent celui-ci. L’OPCO rend un avis sur la conformité du contrat et statue sur la prise en charge financière dans un délai de vingt jours à compter de la réception de l’ensemble des pièces. À défaut de réponse dans ce délai, l’OPCO prend en charge financièrement la formation et le contrat est réputé déposé.

La nébuleuse des aides financières
Les aides financières pour embaucher en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation sont nombreuses et variées. Dans les deux cas, une exonération des cotisations patronales d’assurances sociales (assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse-décès), totale ou partielle, peut être accordée, selon la taille de l’entreprise et le statut d’artisan. De même, des aides sont prévues afin d’inciter les entreprises à recruter des personnes en situation de handicap. Pour les contrats d’apprentissage conclus à compter du 1er janvier 2019 dans les entreprises de moins de 250 salariés pour préparer un diplôme de niveau inférieur ou égal au bac, une aide unique aux employeurs d’apprentis est octroyée (elle remplace l’aide TPE jeunes apprentis, la prime régionale à l’apprentissage pour les TPE, l’aide au recrutement d’un apprenti supplémentaire et le crédit d’impôt Apprentissage).

Bien d’autres aides existent : déductions fiscales de la taxe d’apprentissage, aide à l’embauche d’un demandeur d’emploi âgé de 45 ans et plus en contrat de professionnalisation, exonération de certaines cotisations pour certains groupements d’employeurs, aide pour les entreprises de plus de 250 salariés employant plus de 5 % d’alternants, etc. On peut se tourner vers différents interlocuteurs pour se retrouver dans ce qui s’avère être un petit labyrinthe : votre OPCO, Pôle emploi, l’AGEFIPH, etc.

La réglementation du travail pour les mineurs

Encore un point commun inhérent à l’âge possible d’entrée dans les deux contrats : toute la réglementation concernant les jeunes travailleurs de moins de 18 ans s’applique aux mineurs en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation. Il s’agit notamment de la réglementation sur la durée du travail et sur l’interdiction de travail les jours fériés, sauf dérogation, laquelle est d’ailleurs rappelée à l’article 8.9 de la convention collective des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012. Certains travaux sont interdits aux travailleurs mineurs, quelques-uns étant là aussi susceptibles de dérogation.

L’embauche définitive en CDI

Si le salarié en formation en CDL ou CDD est engagé à l’issue de son contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, la signature du CDI rompt le précédent contrat. Aucune période d’essai ne peut alors être imposée (sauf clause conventionnelle contraire). La durée de l’apprentissage est prise en compte pour le calcul de la rémunération et pour les droits liés à l’ancienneté du salarié dans les effectifs.

La rupture anticipée
Même si ce n’est jamais l’objectif d’un employeur, il peut être rassurant pour embaucher de savoir que le contrat d’apprentissage ou de professionnalisation peut être rompu de manière anticipée. En apprentissage, durant les 45 premiers
jours (consécutifs ou non) en entreprise, le contrat peut être rompu par l’employeur ou par l’apprenti (ou par son représentant légal) sans motif. Pour les contrats conclus à partir du 1er janvier 2019, passé le délai de quarante-cinq jours, la rupture peut désormais être actée par accord amiable écrit des deux parties. Les différents cas de rupture initiés par l’employeur (force majeure, faute grave de l’apprenti, inaptitude médicale, décès de l’employeur maître d’apprentissage dans une entreprise unipersonnelle) prennent la forme d’un licenciement sans le besoin de recourir au conseil des prud’hommes comme auparavant.
L’apprenti peut aussi prendre l’initiative de la rupture, en respectant certains délais à titre de préavis. En professionnalisation, les cas de rupture d’un CDD sont identiques à ceux du droit commun : accord réciproque des parties, faute grave du salarié, force majeure. De même, dans le cas d’un contrat de professionnalisation conclu en CDI, les modalités de rupture sont les mêmes que celles prévues pour la rupture d’un CDI de droit commun.

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes