C’est enfoncer une porte ouverte que de rappeler que la crise sanitaire que nous vivons a durement affecté l’activité du monde culturel. Théâtres, cirques et opéras fermés, tournages retardés, décalés ou annulés. Pendant ce temps, des hommes et des femmes ont néanmoins continué les activités de leur entreprise culturelle. Comment ? En se diversifiant. En allant sur des activités économiques qui n’étaient pas empêchées. Il faut cependant en maîtriser les conséquences.

C’est ainsi qu’à l’été 2019, une petite compagnie de théâtre a, sur proposition de la mairie, accepté de faire tourner la buvette du village. Il s’agissait d’une activité totalement annexe à la production des spectacles. Vint la COVID-19 et la diffusion des spectacles fut impossible durant la majeure partie de l’année 2020. Mais la buvette a tourné en 2020 comme en 2019. Cette convergence d’événements a eu pour effet que le chiffre d’affaires généré sur l’exercice 2020
a été principalement, pour ne pas dire exclusivement, celui de la vente de boissons et glaces, ce qui n’a rien à voir avec la production de spectacles. La petite compagnie a dû alors se poser de nombreuses questions. Nous avons tâché de l’éclairer.

Le changement d’objet social

Lors de sa création, cette compagnie n’avait pas pensé à spécifier dans ses statuts qu’elle pouvait être amenée à tenir une buvette et vendre des boissons et des en-cas. Le contraire eut été surprenant ! Elle avait donc un objet social qui ne comprend que la création et la diffusion de spectacles. Conséquence : gérer la buvette, faire des commandes, employer des salariés à servir les clients, tous ces actes sont des décisions du dirigeant qui vont au-delà de l’objet social. Or, celui-ci est là justement pour protéger la société des actes du dirigeant qui dépasserait son mandat sans autorisation.

Quand les dirigeants agissent audelà des limites prévues par l’objet social, ce n’est pas la responsabilité de l’association qui risque d’être engagée, c’est la responsabilité personnelle, civile comme pénale, du dirigeant. En cas de sinistre, les assureurs se référeront à l’objet social pour déterminer si celui-ci rentre dans le cadre des activités mentionnées. Cela peut donc conduire à un refus d’indemnisation. Or, il n’est pas très compliqué d’imaginer un plateau de thé brûlant renversé par un serveur maladroit sur une table de clients…

Y a-t-il un lien avec la diffusion du spectacle ? Non, donc pas de prise en charge par l’assurance de responsabilité civile de l’association qui n’a plus qu’à entrer en conflit avec son dirigeant. Notre petite compagnie a donc dû modifier l’objet social de ses statuts, afin de protéger son dirigeant mais aussi elle-même. Elle a dû inclure la gestion de la buvette dans cet objet par une assemblée générale extraordinaire, publier un avis relatif à la modification de l’objet social dans un journal d’annonces légales et faire les démarches auprès du greffe du tribunal de commerce.

Le changement de code APE

Chaque activité professionnelle est régie par un code délivré par l’INSEE, nommé code APE. Le code APE (activité principale exercée) ou code NAF (nomenclature d’activité française), c’est la même chose ! Attribué lors de l’immatriculation de l’entreprise, le code, composé de quatre chiffres et d’une lettre, a une vocation principalement statistique. Il permet d’identifier la branche d’activité principale de l’entreprise ou du travailleur indépendant.

Pour notre compagnie de théâtre, lors de sa création, c’est évidemment 9001Z, à savoir le code correspondant à l’activité d’« arts du spectacle vivant ». Mais l’activité principale d’une entreprise est celle qui génère le plus de chiffres d’affaires. Or, notre compagnie a un chiffre d’affaires 2020 généré par la vente de boissons et non par la vente de spectacles. Il en découle donc une modification de l’activité principale, qui a une conséquence sur le code APE. Il faut normalement en changer.

Y a-t-il vraiment une conséquence à posséder un mauvais code APE ?
En réalité, aucune sanction civile, pénale ou administrative n’est prévue par la loi. Mais il y a deux écueils. Premièrement, l’URSSAF se fie à ce code pour déterminer le régime social obligatoire du dirigeant travailleur non-salarié de l’entreprise et transférer son dossier. De cette caisse découle le montant des cotisations, leurs échéances, ainsi que les modalités nécessaires pour recevoir le remboursement des soins. Une erreur de code APE pourrait ralentir une indemnisation due. Deuxièmement, cette erreur peut être source de conflit, notamment avec les salariés de l’entreprise qui peuvent en faire un prétexte pour argumenter sur la convention collective applicable. Bien que ce soit loin d’être aussi simple, nous y reviendrons plus bas, l’important est de ne pas donner prise à une dispute sur le sujet. La modification du code APE est une formalité très simple à réaliser auprès de l’INSEE. Mais on doit se poser la question de la pertinence d’un changement de
code dans de telles circonstances. En effet, que le chiffre d’affaires soit généré uniquement par l’activité de la buvette est exceptionnel. En temps normal, le chiffre d’affaires est constitué d’une partie des revenus issus de la buvette et d’une partie des revenus issus de la création et diffusion de spectacles. La compagnie doit donc comparer le chiffre réalisé par la buvette et le chiffre usuellement réalisé par les spectacles. Si le second est, par exemple, trois fois supérieur au premier, il serait particulier de demander la modification du code APE alors même qu’il faudra recommencer l’opération en sens inverse dans quelques mois si tout se passe bien et si l’activité économique de la diffusion de spectacles peut reprendre comme avant. Étant donné l’absence de conséquences directes à posséder un code APE qui serait faux, prendre le temps de voir venir peut être une meilleure gestion que de céder aux sirènes du formalisme.

La licence d’entrepreneur du spectacle

Inquiétude légitime de la compagnie :

peut-elle conserver sa licence d’entrepreneur du spectacle ? Puisqu’à sa création, sa seule activité est « l’exploitation de lieux de spectacles, de production ou de diffusion de spectacles », pour reprendre les termes de l’article L.7122-2 du Code du travail, elle possède évidemment ce récépissé valant licence. Mais la licence suppose-t-elle que l’activité d’entrepreneur du spectacle soit l’activité principale ? La réponse est non. La licence doit être possédée par celui qui a une activité d’entrepreneur plus qu’occasionnelle, soit supérieure à six spectacles par an. Mais il importe peu que ce soit l’activité principale ou une activité secondaire. Par conséquent, la licence est conservée.

La convention collective applicable et l’embauche de salariés intermittents

Avant tout, le code APE n’est qu’un indice de la convention à appliquer. Ce qui compte c’est l’activité réelle de la société. Or, la compagnie a désormais plusieurs activités et il faut donc, là encore, déterminer quelle est l’activité la plus importante. Comme expliqué plus haut, en matière commerciale, on se réfère au chiffre d’affaires créé par chaque activité. C’est l’activité principale qui entraîne l’application de la convention idoine. Il faudrait donc commencer par regarder si le chiffre dégagé par la buvette est plus important que celui de l’organisation de spectacles. Si non, on conserve la Convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012. Si oui, cela signifie que la convention utilisée maintenant est mise en cause et qu’il faut se diriger vers la nouvelle convention applicable (Convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997). 

La convention collective correspondant à l’activité principale s’applique à l’ensemble des salariés de l’établissement même s’ils sont affectés à une activité secondaire. De deux choses l’une. Si on applique la convention spectacle, les salariés affectés à la buvette se retrouvent soumis à la Convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012, sauf à créer un établissement autonome pour la buvette ; dans ce cas, on peut faire coexister deux conventions et donc appliquer la convention HCR au personnel de la buvette. Mais les conséquences organisationnelles sont alors très compliquées : le personnel ne doit pas être interchangeable, les décisions concernant la buvette sont prises par des dirigeants affectés exclusivement à la buvette, etc. Bref, la vie de la buvette est indépendante aux plans décisionnel et économique de l’organisation du spectacle : c’est un pensum. Rassurons-nous, même si ce n’est peut-être pas l’idéal, il ne sera pas impossible de se référer à la convention spectacles pour créer  les contrats de travail de la buvette (la convention prévoit notamment des serveurs et des barmans pour les cabarets).
Mais si l’on applique la convention HCR parce que le chiffre d’affaires dégagé par la buvette est supérieur à la création de spectacles, la compagnie se retrouve avec une énorme difficulté : elle ne peut plus engager directement de techniciens ouvriers ou d’artistes. Car Pôle emploi considère que l’activité de l’employeur doit relever de la Convention collective pour les entreprises du secteur privé du spectacle vivant (ou la Convention collective pour les entreprises artistiques et culturelles, évidemment, mais les entreprises qui en relèvent sont moins soumises à un risque de devoir se diversifier pour survivre) et être répertoriée dans l’une des trois catégories suivantes :

– les employeurs titulaires de la licence d’entrepreneur de spectacles vivants ou d’un récépissé de déclaration d’entrepreneur de spectacles vivants valant licence, et dont l’activité principale est répertoriée par le code APE ou NAF 9001Z ;
– les employeurs titulaires de la licence d’entrepreneur de spectacles vivants ou d’un récépissé de déclaration d’entrepreneur de spectacles vivants valant licence, n’ayant pas le code APE ou NAF 9001Z et affiliés à la caisse des congés du spectacle ;
– les employeurs ayant organisé des spectacles occasionnels tels que définis par l’article L.7122-19 et suivants du Code du travail.

Or, notre compagnie, si tel devait être son destin, applique la convention HCR parce que, même avec la reprise de l’activité normale, la buvette rapporte beaucoup plus que la diffusion de spectacles. En conséquence, il ne lui serait plus possible d’engager techniciens ouvriers et artistes. Il sera donc nécessaire pour elle d’en passer par le guichet unique pour le spectacle vivant, notammentvia le Chèque Intermittents. Lorsque nous vivons des temps économiques incertains, on ne peut que féliciter la capacité d’adaptation des agents économiques, notamment dans le secteur culturel. Mais modifier son activité n’est pas sans conséquence et il faut savoir les anticiper.

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes