Amateurs d’acronymes visant à se simplifier le langage, mais uniquement pour ceux qui les comprennent, nos amis anglophones ont créé le BYOD, bring your own device. Traduisez : apporte ton propre matériel. Il s’agit du fait que le salarié se serve de ses outils personnels pour effectuer son travail. Cette pratique soulève des questions sur plusieurs points et les réponses qu’elles amènent, ou bien même l’absence de réponses certaines, devraient conduire les employeurs à plus de prudence en la matière.

Social CP 15

Dans le monde de la culture, du spectacle et du cinéma, la situation est en fait d’une banalité quotidienne.  Une entreprise fait appel à un technicien vidéo / monteur pour de la captation et du montage ; il est prévu par oral que le salarié utilise sa propre caméra et monte la vidéo sur son ordinateur personnel. Un studio de cinéma emploie une figurante pour un rôle d’agent de police, rôle qu’elle a l’habitude de tenir car elle arrive au volant de sa propre voiture de police, une patrouilleuse qui est utilisée pour les scènes. Un musicien arrive dans la fosse de l’orchestre avec son propre violon.

Une obligation de fournir le matériel

Le principe est pourtant que « l’employeur met à la disposition des travailleurs les équipements de travail nécessaires, appropriés au travail à réaliser ou convenablement adaptés à cet effet, en vue de préserver leur santé et leur sécurité » (art. R.4321-1 du Code du travail – CT).

L’impératif de protection de la santé et de la sécurité des salariés ne masque pas le fait que c’est à l’employeur de fournir le matériel de travail : un stylo, une clé USB, une caméra ou un violon, pour ne pas dire une patrouilleuse. Dès lors, quelles sont les incidences possibles du fait que le salarié apporte son matériel pour travailler ?

Commençons par le fait que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi » (art. L.1222-1 CT). Il en ressort que, à ne pas fournir les instruments de travail, l’employeur pourrait engager sa responsabilité contractuelle en manquant à son obligation de bonne foi. Il n’est en effet pas nécessaire pour se mettre en tort que l’employeur ait eu l’intention de nuire au salarié. Le simple fait de ne pas respecter une obligation dont il a nécessairement conscience, nul n’étant censé ignorer la loi, peut le mettre en difficulté sur son respect du contrat. Le risque existe même d’aller jusqu’à justifier une résiliation judiciaire ou une prise d’acte de rupture de la part du salarié, ce qui pourrait conduire à des dommages et intérêts alloués par le juge.

Que faire alors pour intégrer le matériel dans la relation contractuelle ? Il paraît illégal, puisque contraire au texte plus protecteur de la loi, d’inscrire dans le contrat une obligation pour le salarié d’apporter son matériel. On doit néanmoins considérer le cas où le fait d’apporter son propre matériel relèverait d’un usage. Rappelons que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi » (art. 1194 du Code civil). Or, il est d’usage pour un musicien de venir avec son propre instrument. Il y a des exceptions (on pense au piano). Mais la question de la légalité du violoniste salarié jouant sur son propre instrument peut ainsi se trouver réglée, au moins en son principe si ce n’est sur les conséquences de cette utilisation.

L’enjeu des rapports économiques

À défaut d’usage, quelle solution ? La figurante pourrait louer sa patrouilleuse. Il y a néanmoins des conséquences fiscales. Les revenus générés par la location doivent être considérés comme étant issus de la gestion du patrimoine privé ne relevant pas d’une activité professionnelle. La comédienne doit cependant informer l’administration fiscale de ses revenus en les intégrant dans sa déclaration et choisir entre un régime fiscal de micro-BIC ou un régime réel de BIC.

Jusqu’à 305 €, les revenus ne seront pas imposables. Au-dessus et jusqu’à 72 600 €, elle sera imposée sur 50 % de ses revenus. Sans compter le passage en collecte de TVA à compter de 34 400 €. Mais gageons qu’il est peu probable que ces seuils soient atteints. À défaut de pouvoir établir une facture (art. L.441-9 du Code de commerce), il faudra également que la comédienne établisse une attestation mentionnant ses nom et adresse, la date, l’objet et le prix de la location, son prix, le mode de règlement et l’identification du loueur. Celui-ci pourra l’intégrer dans sa comptabilité.

Cette solution est-elle vraiment satisfaisante ? Elle a l’avantage de rendre transparent le rapport économique qui est ici en place. Mais elle crée un double rapport entre les deux mêmes personnes : loueuse / salariée d’un côté et locataire / employeur de l’autre. Dans l’absolu, rien n’interdit cette double relation contractuelle. L’entreprise locataire loue un accessoire à un loueur qu’elle confie ensuite en tant qu’employeur à son salarié en tant qu’outil de travail.

Cependant, l’un des rapports se fait sur un pied d’égalité tandis que l’autre est marqué par un lien de subordination. Il faut donc que, concrètement, l’existence du lien de subordination ne permette pas à l’employeur de donner des ordres qui contreviendraient à l’usage prévu au contrat de louage car cela pourrait faire douter de la véritable égalité des cocontractants concernant la location. Pourrait-on aller jusqu’à soupçonner que le contrat de travail n’existe que parce que le contrat de location existe (« Si tu ne viens pas avec ta propre caméra, tu n’as pas le job. ») ? Et quelles en seraient les conséquences ? La faute du loueur qui aurait commis une violence économique ? On peut se perdre en conjectures. Et n’allons pas croire qu’il suffit dans ce cas de tout simplement fermer les yeux, de ne pas formaliser le contrat de location, pour se débarrasser du problème. La relation contractuelle et le flou qui l’accompagne sont bel et bien là.

Pourrait-on sinon considérer qu’il s’agit de frais professionnels qu’on peut rembourser, sans mélange de genres ? L’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale prévoit des catégories précises de frais pouvant faire l’objet de remboursements réels ou forfaitaires. La liste n’est cependant pas exhaustive et on pourrait donc envisager d’entrer dans ce cadre. L’exercice est cependant périlleux, notamment vis-à-vis de l’URSSAF. En cas de remboursement sous forme d’allocations forfaitaires, il sera plus difficile d’apporter la preuve de l’utilisation des indemnités conformément à leur objet, puisque l’employeur ne recueille pas de pièces justificatives et donc, étant hors cadre des forfaits prévus à l’arrêté du 20 décembre 2002, le risque de réintégration dans l’assiette des prélèvements est important. Il faudra préférer le remboursement réel mais demander au salarié a minima la facture d’achat du matériel et prévoir la méthode d’amortissement utilisée. En ce sens, on peut aussi envisager de verser une prime d’outillage au salarié mais il ne s’agira nullement d’un remboursement de frais professionnels.

Attention ! Si nous en sommes rendus à prévoir des frais professionnels ou une prime d’outillage, alors il faudra inscrire quelque part dans la relation contractuelle le fait que le salarié apporte son matériel et pourquoi. Peut-on imaginer que ce soit une volonté du salarié, à l’instar de l’artisan, plus à l’aise sur son matériel que sur celui proposé par l’employeur ?  Pourquoi pas, mais encore faut-il que l’employeur puisse prouver avoir mis le matériel nécessaire à disposition.

Accidents et dommages liés au matériel

Imaginons ensuite que le matériel soit la cause d’un accident et provoque un dommage au salarié. La caméra tombe sur le pied du cameraman, la comédienne se claque la porte de la voiture sur la main, etc. Le fait qu’il s’agisse du matériel personnel du salarié influe-t-il sur la qualification en accident du travail ? La réponse est négative. « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise » (art. L.411-1 du Code de la sécurité sociale). Où l’on voit que l’origine du matériel en cause n’est pas prise en compte pour reconnaître l’accident du travail.

C’est une bonne nouvelle pour le salarié qui reste ainsi protégé et n’est pas sanctionné du fait de travailler avec son matériel. C’est un avertissement pour l’employeur : ne devrait-il pas se demander si la patrouilleuse, le violon, la caméra présente toutes les garanties de sécurité ? En cas d’accident du travail, n’est-il pas en plus responsable d’un manquement à son obligation de santé ? En effet, comment pourrait-il justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail ? Comment pourrait-il encore l’avoir intégré dans l’évaluation des risques ?

Qu’en est-il du dommage causé aux tiers ? Cette fois, la caméra tombe sur le pied de la personne filmée qui n’est pas un acteur. Est-ce que le cameraman est responsable car il s’agit de sa caméra ? Non : « Les maîtres et les commettants [sont solidairement responsables] du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés » (art. 1242 du Code civil). Les termes ont le charme du vocabulaire employé lors de l’entrée en vigueur du Code en 1804. C’est une responsabilité de plein droit qui ne s’attarde pas sur la question de la garde de la chose qui permet le dommage.

L’employeur ne peut d’ailleurs s’exonérer de sa responsabilité que si son préposé a agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, ce qui n’est pas le cas dans les exemples que nous utilisons et BYOD en général. C’est donc bien la responsabilité de l’employeur qui sera engagée. Mais alors, n’y a-t-il pas là encore un intérêt tout particulier pour l’employeur de s’assurer de l’absence de dangerosité du matériel employé ? La meilleure solution n’est-elle pas de fournir lui-même le matériel ?

Quelle responsabilité en cas de dommage à l’employeur ? Imaginons que le fait pour le monteur d’utiliser son ordinateur personnel pour monter la vidéo et l’envoyer à l’employeur transmette un virus sur le réseau de l’entreprise. Ou que les prises de vue soient détruites par une panne définitive de l’ordinateur personnel du salarié. L’employeur n’aura qu’à s’en mordre les doigts. Il n’a aucun recours contre son salarié qui n’a pas agi avec une intention de lui nuire et auquel il n’avait qu’à confier le matériel adéquat.

Quid encore du dommage causé au matériel lui-même ? Et de l’assurance qui interviendrait ? Côté employeur, aucun assureur n’acceptera d’assurer à l’aveugle les risques d’un matériel inconnu. Côté salarié, il faut que celui-ci trouve un assureur qui accepte de l’indemniser en cas d’utilisation de son matériel hors cadre privé. Il en coûtera une surprime, laquelle pourra être remboursée en partie par l’employeur.

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Conclusion de bon sens

Toutes ces questions devraient, à notre humble avis, amener l’employeur à regarder avec méfiance le BYOD et à avoir le bon sens de fournir ses salariés en matériel adapté ou d’encadrer l’usage du matériel personnel. Alors, que faire pour prévenir l’utilisation par le salarié un peu trop zélé d’utiliser son ordinateur parce qu’il le connaît mieux et qu’il ira plus vite ?

La solution peut être simple. Le règlement intérieur est un document écrit par l’employeur qui lui permet de fixer « les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L.4122-1 [du Code du travail] ». En son second alinéa, cet article indique que « les instructions de l’employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail […] ». C’est l’occasion d’écrire en toutes lettres que les salariés ne doivent utiliser que le matériel qui leur est fourni et pas un autre1, sauf dérogation contractuelle qu’il faudra alors prévoir minutieusement mais qui ne pourra être la garantie que tout est sous contrôle.

Julien Monnier,

Avocat au barreau de Nantes

1 Denis Courtieu, Les outils privés du salarié utilisés dans le cadre de son travail, Village de la Justice, 12 déc. 2012 (https://www.village-justice.com/articles/outils-prives-salarie-utilises-cadre,13437.html)