L’été arrive à son terme et avec lui les vacances loin de nos contrées françaises sont derrière nous. Mais la crise sanitaire est passée par là et certains d’entre nous n’ont peut-être pas eu envie de traverser les frontières de l’Hexagone. Qu’à cela ne tienne, ce papier bimensuel a cette fois l’ambition de vous faire voyager, à peu de frais, puisqu’il s’agit de faire un petit tour d’Europe de l’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle. Au programme : la Belgique, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède.

Avant d’entamer notre tour, et peut-être de s’étonner, il est important de savoir de qui l’on parle. En France, c’est le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage qui définit à ses annexes VIII et X les métiers du monde du spectacle qui peuvent bénéficier des allocations chômage, autrement dit les techniciens ouvriers et les artistes. Aucun des pays où nous irons nous promener ne possède une telle catégorisation de travailleurs.

Les métiers du spectacle y sont soumis aux mêmes règles d’indemnisation chômage que les autres emplois. Néanmoins, ils se retrouvent naturellement dans les règles spécifiques mises en place pour tenir compte de la fragilité de certains marchés de l’emploi. C’est un point important à signaler car la France fait donc figure d’exception en prévoyant un système d’indemnisation spécifique aux intermittents du spectacle. 

À tel point que l’expression intermittent du spectacle ne trouve pas son équivalent dans les législations étrangères. Nous pourrions presque affirmer que ce mécanisme d’assurance-chômage appartient à l’exception culturelle française, si nous avions la main sur ce que signifie cette expression, or il n’en est rien. Revenons à nos moutons : pour la compréhension de cet article, nous ferons référence aux intermittents du spectacle bien que la catégorie n’existe pas ailleurs qu’en France. 

L’indemnisation du chômage en Belgique Werkloosheidsuitkering in België1

Le travailleur belge qui veut exercer une activité artistique a le choix entre trois statuts : salarié dans le cadre d’un contrat de travail et donc permettant d’accéder aux allocations chômage comme le reste des  salariés à profession non artistique, indépendant, à la différence avec le système français2 mais sans allocation chômage et, à la marge, fonctionnaire. En outre, il existe un régime des petites indemnités qui permet aux artistes de recevoir des sommes d’argent limitées sans qu’il n’y ait de prélèvement fiscal ou social mais donc sans indemnisation chômage non plus.
En revanche, le plat pays a un système assez similaire à l’intermittence auquel tout le monde n’a pas accès. La loi a ainsi prévu un aménagement appelé « article 1bis » par référence à la loi du 27 juin 1969 qui prévoit cette règle permettant aux artistes d’être considérés comme salariés même si les conditions du contrat de travail ne sont pas remplies.

Ils peuvent de ce fait bénéficier d’allocations de chômage en tant que salariés, même s’ils n’ont pas signé un contrat de travail. Mais pour pouvoir  bénéficier de ce régime particulier, il faut obtenir préalablement un visa artiste auprès de la Commission Artistes, ce qui n’est pas aisé car la définition en est restrictive et ce qui expose, en cas d’obtention, à des contrôles très poussés de l’Office nationale de l’emploi.

Indennità di disoccupazione in Italia

De son côté, l’Italie a un temps possédé une règle très spécifique aux artistes, à leur grand dam car ceux-ci n’étaient alors soumis à cotisations ni bénéficiaires d’une allocation- chômage ! Dans la botte de l’Europe, les Istituto nazionale della previdenza socale, le Pôle emploi local, payaient des allocations chômage dites réduites à partir du moment où, du temps de leur salariat, les chercheurs d’emploi payaient la contribuzione à l’invalidité, vieillesse et décès. Peu important qu’ils payaient ou non la contribuzione au chômage qui ouvrait droit, elle, à une allocation chômage générale plus conséquente.

Les intermittents du spectacle ne payaient pas la contribuzione au chômage et donc percevaient les allocations chômage réduites, jusqu’à ce que la Corte suprema di cassazione, l’équivalent de notre Cour de cassation, rappelle en 2010 cette règle simple : pas de contribution, pas d’allocation ! Il s’en est suivi une période trouble de grande précarité pour le monde du spectacle avec un recours au travail au noir conséquent. 

Une réforme législative du 28 juin 2012 a réintégré les artistes dans le droit commun. À l’instar de tous les salariés employés de façon aléatoire et discontinue, ils peuvent percevoir la mini Assicurazione sociale per l’impiego ouverte après 13 semaines d’activité au cours des 12 derniers mois. Pour 2020, le montant de l’indemnité était de 75 % du salaire moyen brut des 2 dernières années jusqu’à 1 227,55 €, outre 25 % pour la tranche supérieure, avec un plafond global à 1 335,40 €.

Arbeitslosengeld in Deutschland

On peut commencer par relever que l’Allemagne permet aux intermittents du spectacle de travailler selon les mêmes statuts que la Belgique : salarié, indépendant et fonctionnaire. Mais il n’y a ni intermittence à la française ni à la belge.

Pour les plus précaires, autrement dit les demandeurs d’emploi qui ne peuvent intégrer le régime général faute d’exciper d’une affiliation à l’assurance chômage d’au moins 12 mois sur les 24 précédents, l’Agentur für Arbeit, l’Agence pour l’emploi Outre-Rhin, peut verser l’Arbeitslosengeld II (aussi connu sous le nom de Hartz IV). Elle est spécifique des salariés titulaires de contrats courts ou saisonniers. 

Cette prestation relève pratiquement de l’aide sociale en fixant l’indemnité au regard des cotisations et de la composition familiale de l’allocataire. La durée la plus longue d’indemnisation par ce régime est de 5 mois et ne s’obtient qu’à condition d’avoir cotisé 10 mois sur les deux dernières années, avec une allocation à la clé de 409 € pour une personne seule.

Unemployment benefit in the United Kingdom

Nos voisins Outre- Manche ne sont pas connus pour verser dans le système de sécurité sociale le plus confortable qui soit. De fait, le Royaume-Uni est l’un des pays européens qui propose les prestations chômage les moins avantageuses pour les salariés, tant pour le montant des prestations que pour la durée d’indemnisation. Le maximum de prestation est de plus ou moins 400 £ (466 €) par mois, quel que soit le montant du salaire. La durée maximale de prise en charge est de 6 mois. Le système met en oeuvre deux allocations. Pour bénéficier de la Contribution-based Jobseeker’s allowance, il faut avoir suffisamment cotisé à la Class 1 National Insurance contributions sur au moins l’une des deux dernières années dans le cadre d’un travail salarié, en clair et sans entrer dans les détails : avoir travaillé 12 mois sur les 24 derniers mois.

Concernant la Income-based Jobseeker’s Allowance, elle est calculée en fonction des revenus que le chercheur d’emploi a une fois au chômage et elle n’a donc aucune relation avec les revenus qu’il avait quand il était encore en activité. Par son mode de calcul, cette seconde allocation est donc faite pour les personnes salariées qui n’ont pas payé assez de cotisations pour pouvoir bénéficier de l’allocation contributive ou les personnes qui n’en ont pas versé du fait de leur statut de travail leur indépendant. Elle peut donc intéresser aussi les intermittents du spectacle qui n’auraient pas pu exercer leur activité dans le cadre d’un contrat de travail. 

Pays libéral s’il en est, les artistes indépendants peuvent être couverts contre le chômage s’ils contractent une assurance volontaire contre ce risque. Bien évidemment, et c’est un euphémisme, ce n’est pas gratuit, le risque étant pratiquement dépourvu d’aléa. À noter que l’on retrouve le même système assurantiel en Grèce. Tant que nous voyageons dans la langue de Shakespeare, jetons un oeil Outre-Atlantique. En dépit du fait que l’État fédéral fixe le cadre général et qu’il existe ainsi une cinquantaine de régimes différents, on retrouve peu ou prou la même organisation pour les artistes états-unien qui ne seront d’ailleurs eux non plus pas indemnisés au-delà de 26 semaines.

Arbetslöshetsersättning i Sverige

Nous voici en Suède où le système social fonctionne encore autrement mais toujours sans spécificité par rapport aux intermittents du spectacle qui doivent s’insérer dans les règles prévues pour l’ensemble du marché. De fait, le marché de l’emploi des intermittents y est assez moribond, ce qui pousse les artistes vers la paupérisation et ou le changement de métier. L’assurance chômage repose là-bas sur deux indemnités, dont une volontaire. Le travailleur peut choisir d’adhérer à une caisse d’assurance chômage pour bénéficier en cas de chômage de l’inkomstrelateradersättning, une indemnité proportionnelle au revenu. À défaut, par choix ou s’il ne remplit pas la condition de durée minimum d’affiliation, il bénéficie de la grundbelopp, une allocation forfaitaire de base sans lien avec le revenu tiré du travail antérieur. Quelle que soit l’indemnité à laquelle il prétend, l’allocataire en puissance doit avoir travaillé au moins 80 heures par mois pendant 6 mois au cours des 12 derniers mois ou 480 heures réparties sur une période ininterrompue de 6 mois, dont au moins 50 heures par mois au cours des 12 mois précédents.

L’indemnisation du chômage en France

Nous voici de retour chez nous. Nul lecteur de ces lignes ignore que pour être intermittent du spectacle il faut justifier de 507 heures de travail ou heures assimilées au cours des 12 mois qui précèdent la fin de contrat de travail prise en considération pour l’ouverture de droits. L’indemnisation est, s’il y a besoin de la percevoir, garantie pour l’année à venir pendant laquelle l’artiste ou technicien ouvrier va pouvoir de nouveau cotiser.

Le montant de l’allocation journalière dépend d’une formule incluant allocation journalière minimale, SMIC horaire, nombre d’heures travaillées et salaires de référence Les différentes options de l’indemnisation du chômage que sont le caractère obligatoire ou facultatif et le système de cotisation ou d’assurance se retrouvent mêlés de différentes façons dans tous les pays du monde. Beaucoup de pays, notamment européens, intègrent les spécificités des métiers du spectacle dans le système social (risques maladie, vieillesse, accident) sans en tenir compte pour le risque chomage ou peu s’en faut. Aucun ne possède un système équivalent à la France.
Osons le dire, c’est le système le plus avantageux au monde. Les mesures d’urgence et l’année blanche liée à la crise sanitaire, même si certains peuvent s’en plaindre (et il ne nous appartient pas de dire si c’est à tort ou à raison), démontrent encore que les professionnels du spectacle sont en France dans le pays le plus confortable pour exercer leur métier.

L’essentiel de notre voyage a été rendu possible grâce au travail du Sénat et au rapport d’information de Mesdames Blandin et Blandon, « Régime des intermittents : réformer pour pérenniser » – commission de la culture, de l’éducation et de la communication n° 256 du 23 décembre 2013. La lecture de « L’intermittence, cette belle exception culturelle française ! » de Madame Fabre, Nectart, vol. 1, no. 1, 2015, pp. 86-91, a été inspirante, ainsi que « La protection sociale des artistes dans les pays de l’Union européenne » du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale en 2000. Nous avons simplement dû actualiser les données pour vous permettre une présentation fiable des systèmes actuels. 

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes