Quel est l’objet de ce dispositif de protection des droits d’auteur ?

L’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), issu de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur l’internet, a créé un dispositif de lutte contre les atteintes à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnées par le contenu d’un service de communication au public en ligne. L’atteinte à ce droit est caractérisée dès lors que le service de communication en ligne met à disposition du public, lorsqu’il accède au site internet en cause, un contenu qui constitue une contrefaçon d’une oeuvre protégée.

C’est le juge judiciaire qui est garant de ce dispositif. Le tribunal judiciaire peut être saisi par les titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés ou leurs ayants droit, par les organismes de gestion collective et de défense professionnelle et par le Centre national du cinéma et de l’image animée. Dans ce cadre, le président du tribunal ou son délégué peut ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. Les mesures ainsi ordonnées s’adressent à toute personne susceptible de remédier à cette atteinte.

Qui doit prendre les mesures ordonnées par le juge judiciaire ? En quoi consistent-elles ?

Le plus souvent, c’est aux fournisseurs d’accès à l’internet (FAI) que s’adressent les injonctions du juge,lequel leur demande alors de bloquer l’accès à des sites internet. Plus rarement, les injonctions visent un moteur de recherche, lui faisant obligation de supprimer l’association automatique de mots-clés avec les termes d’une recherche : c’est ainsi que Google a pu être visé par de telles injonctions1. Il est en revanche pratiquement (mais pas juridiquement) impossible de cibler les hébergeurs de contenu contrefaits qui sont très difficiles à identifier et à localiser. Concrètement, les mesures ordonnées par le juge judiciaire consistent, pour les FAI, à bloquer l’accès à des sites internet. Ce blocage est souvent assuré en configurant les DNS (Domain Name System) dans le but d’empêcher que des requêtes atteignent l’adresse IP correspondant au site recherché.

Qui supporte le coût des mesures ordonnées par le juge ?

La question du coût de ces mesures, et en particulier de leur débiteur, est complexe. Il faut en effet assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et la protection de la liberté d’entreprise, dont bénéficient les opérateurs économiques tels que les FAI. Cette exigence de recherche du juste équilibre a été posée par un important arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 novembre 20112. Dans cet arrêt, la Cour juge ainsi que serait contraire au droit de l’Union l’obligation pour les FAI de mettre en place un système généralisé de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par leurs services, dans l’hypothèse où ce système s’appliquerait à l’égard de toute sa clientèle, à titre préventif et à ses frais exclusifs et en outre sans limitation dans le temps.

Un tel système serait certes utile aux titulaires de droits : il permettrait en effet d’identifier sur le réseau du FAI la circulation de fichiers électroniques contenant une oeuvre sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, ce dans le but de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur. Mais ce système porterait excessivement atteinte à la protection de la liberté d’entreprendre des FAI. En effet, l’obligation faite à ceux-ci de bloquer un site restreint la libre utilisation des ressources à leur disposition car elle les oblige à prendre des mesures qui peuvent être coûteuses et/ou techniquement complexes et qui peuvent ainsi peser sur leur activité.

Dans le même arrêt, la Cour juge en revanche que le coût en cause peut être mis à la charge des FAI lorsque ceux-ci disposent d’une marge de manoeuvre pour choisir les mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont ils disposent et tant qu’ils ne sont pas tenus de faire des « sacrifices insupportables ».

Concrètement, le coût des mesures de blocage est donc le plus souvent mis à la charge des FAI, bien que ceux-ci ne soient pas les auteurs de l’atteinte au droit de propriété intellectuelle. Mais lorsque ces coûts s’avèreraient pour eux disproportionnés, le juge judiciaire peut les mettre, totalement ou partiellement, à la charge des titulaires du droit d’auteur. La Cour de cassation l’a expressément jugé dans son arrêt Allostreaming en 20173.

Dans sa décision Société Free du 13 novembre dernier4 (cf. Encadré), le Conseil d’État précise que par coûts disproportionnés, il faut entendre des coûts qui « seraient, eu égard à la fréquence, au nombre et à la complexité des opérations en cause, d’une importance telle qu’ils mettraient en péril la viabilité économique des opérateurs ».

Quelle est la différence entre le dispositif du L. 336-2 CPI et le dispositif prévu par le code des postes et télécommunications ?

La différence entre ces deux dispositifs conduit à distinguer les obligations qui sont les leurs en application de l’article L. 336-2 CPI et les obligations qui pèsent sur eux en application de l’article L. 336-3 CPI. Le premier de ces articles impose aux opérateurs de prendre des mesures déterminées pour faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

L’article L. 336-3 CPI impose quant à lui aux opérateurs de conserver de manière indifférenciée des données afin de veiller à ce que l’accès à des services de communication au public en ligne ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits. Et c’est à cette obligation que se réfère le Code des postes et télécommunications5 qui imposent aux FAI de conserver les données relatives au trafic et, le cas échéant, de les communiquer aux autorités habilitées à les recevoir :
– pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ;
– pour la prévention des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données ;
– ou dans la cadre de la « riposte graduée » mise en oeuvre par la HADIPO, laquelle est ainsi conduite à adresser aux FAI près de dix millions de demandes chaque année.

Les obligations qui pèsent sur les FAI sont donc très importantes et représentent un coût très élevé. Mais, précisément, contrairement à ce qui est le cas pour les coûts exposés dans le cadre du dispositif de l’article L. 336-2, il existe un mécanisme de compensation des surcoûts engagés par les FAI dans le cadre du dispositif de l’article L. 336-3.

Frédéric Dieu

1 Cour de cassation, 12 juillet 2012, n° 11-20.358.
2 Scarlet Extended, aff. C-70/10.
3 Arrêt Allostreaming du 6 juillet 2017 (n° 16-17.217).
4 Décision n°425941.
5 Cf. Article L. 34-1, III.