Être intermittent du spectacle, c’est répondre à deux conditions. D’une part, être soit technicien ouvrier du spectacle, soit artiste. D’autre part, avoir suffisamment cotisé par ses salaires (ses cachets) et être affilié à un régime spécifique d’assurance-chômage.

Être chef d’entreprise, c’est avoir le pouvoir de direction d’une entreprise. Cette définition peut recouvrir bien des situations juridiques différentes, selon que cette entreprise soit individuelle ou sociale – et si sociale, sous quelle forme. Quelle que soit la forme de l’entreprise, le dirigeant ne tire pas son revenu d’un salaire. Sa rémunération est d’un autre ordre, soit directement issue de son chiffre d’affaires, soit en paiement de l’exécution de son mandat social.

La question est donc de savoir si on peut faire les deux en même temps : être indemnisé par des allocations chômage du régime intermittent et percevoir une rémunération en tant que chef d’entreprise.

L’interdiction de principe du cumul

Commençons par un grand principe : on ne peut pas exercer son métier de technicien ouvrier ou d’artiste sous la forme d’une entreprise. Les métiers définis aux annexes VIII (technicien ouvrier) et X (artiste) au règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage sont des métiers qui s’exercent dans le cadre du salariat.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le régime d’intermittent a été créé : permettre à ces métiers dont on n’a souvent besoin que par à-coups et pour des durées courtes d’avoir des revenus entre deux contrats de travail à durée déterminée. Or, le salariat implique qu’il y ait un lien de subordination entre un artiste ou un technicien ouvrier et son employeur. On ne peut pas être son propre employeur au sens où on l’entend dans un contrat de travail car il faut un lien de subordination entre employeur et salarié, ce qui suppose deux personnes distinctes.

On ne peut se donner d’ordre à soi-même. Cela exclut d’exercer son métier d’artiste ou technicien ouvrier en société mais aussi en association ou en tant qu’entrepreneur individuel. Le salariat est obligatoire et faire autrement est illégal. L’artiste ou technicien ouvrier risquerait une requalification avec des conséquences notamment en matière de rappel de cotisations impayées.

Les exceptions et les limites à l’interdiction du cumul

Il faut amener quelques précisions à la règle que l’on vient de poser. On le fera en se penchant sur les différentes formes de chef d’entreprise : l’entrepreneur individuel (A), le dirigeant de société (B) et le dirigeant d’association (C).

A. L’entrepreneur individuel

Pour des raisons évidentes de chiffre d’affaires et de facilitation des obligations sociales et fiscales, le choix de départ de l’entrepreneur individuel sera très souvent de se déclarer en qualité de microentrepreneur (le statut de microentrepreneur est un régime fiscal et social de l’entrepreneur individuel). On se concentrera ici sur ce régime. Précisons que depuis le 1er janvier 2016, il n’existe plus de régime d’auto-entrepreneur et seul subsiste le régime de micro-entrepreneur. Pour étudier la possibilité de compatibilité entre intermittence et micro-entrepreneur, il faut distinguer si les personnes concernées souhaitent exercer leur métier (1°) ou un métier complémentaire (2°).

1° Le métier d’artiste ou technicien ouvrier en tant que microentrepreneur.

Sur ce point, une distinction s’opère entre les métiers relevant de l’annexe X au règlement général (a) et ceux relevant de l’annexe VIII (b).

a. Pour les artistes du spectacle

Pour ceux-ci, pas d’exception, c’est le salariat et rien d’autre. On notera que les artistes-auteurs sont soumis à la même interdiction : leurs rémunérations par la vente de droits d’auteur ou d’oeuvres d’art est soumise à un régime de protection sociale spécifique via la MDA (Maison des Artistes) ou l’AGESSA (Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs). C’est pour eux une obligation et il leur est impossible de travailler en tant que micro-entrepreneur.

b. Les ouvriers techniciens

En revanche, par exception, les ouvriers techniciens peuvent choisir d’exercer en tant que microentrepreneur. Mais c’est à la condition d’exercer en toute indépendance, par exemple sans horaires imposés. Si tel n’était pas le cas, leur travail pourrait être requalifié en contrat de travail avec pour conséquence le paiement des cotisations sociales qui auraient dû être payées sous la forme du salariat.

Il y a une autre conséquence et pas des moindres : le microentrepreneur ouvrier technicien est alors radié de la liste des demandeurs d’emploi. S’il n’est pas interdit d’exercer en micro-entrepreneur, il est donc impossible de cumuler le régime de l’intermittence avec des revenus issus d’une entreprise pour le même métier.

Un technicien ouvrier du spectacle souhaitant exercer son métier sous le régime de micro-entrepreneur peut être confronté à des difficultés susceptibles de limiter le développement de son entreprise (sauf à quitter le régime de micro-entrepreneur) :

– le chiffre d’affaires maximal permis peut constituer un frein à son développement ;
– la comptabilité simplifiée interdit toute déduction de frais professionnels.

2° Un métier complémentaire en micro-entrepreneur

Cependant, artistes et techniciens ouvriers se retrouvent à égalité face au régime de micro-entrepreneur s’ils souhaitent, non pas exercer leur métier décrit aux annexes VIII et X au règlement général, mais exercer une activité qui soit sans rapport avec le spectacle ou qui soit en rapport mais non inclus dans la liste des métiers d’artistes et techniciens ouvriers (par exemple : conseiller, entrepreneur du spectacle, vendeur d’instruments de musique ou de costumes, etc.).
En ce cas, on peut cumuler les allocations spécifiques d’indem-nisation chômage de l’intermit-tence avec les revenus de micro-entrepreneur.

Il faut cependant veiller à respecter la réglementation du métier que l’on exerce en tant que micro-entrepreneur. Par exemple, avoir une licence d’entrepreneur du spectacle si tel est le métier secondaire choisi.

Attention : on ne peut être entrepreneur du spectacle et, par exemple, diffuser un spectacle dans lequel on exerce son métier d’artiste ou technicien ouvrier ! Comme expliqué précédemment, ce serait être son propre employeur, ce qui n’est pas possible.

B. Le gérant ou président de société
Pour les entreprises qui ont une forme sociale, c’est-à-dire qu’elles ont des statuts juridiques qui en font des sociétés comme les SARL, SAS, etc., le dirigeant d’entreprise est soit un gérant, soit un président. Pour celles-ci, on retrouve le même raisonnement de départ que pour les entrepreneurs individuels (ou microentrepreneurs)
(1°) avec encore une limite au principe (2°).

1° Le métier d’artiste ou technicien ouvrier en société

un métier décrit aux annexes VIII et X au règlement général dans une société dont on serait gérant ou président. Toujours pour la même raison : on ne
peut être son propre employeur dans le cadre d’un contrat de travail qui génère des droits au régime d’intermittent. Car, à nouveau, on ne peut se payer des cachets à soi-même par l’intermédiaire de sa propre société.

2° Un métier complémentaire en société
Il faut tout de suite annoncer que cette voie de cumul entre intermittence et chef d’entreprise est ténue et périlleuse. Rien n’interdit dans l’absolu d’exercer en société dont on serait président ou gérant une activité qui soit sans rapport avec le spectacle ou qui soit en rapport mais non inclus dans la liste des métiers d’artistes et techniciens ouvriers. Mais on renverra aux limites des possibilités de cumul présentées au dernier paragraphe pour apprécier le risque pris.

C. Le président ou administrateur d’association

Nombre d’entreprises se créent sous forme associative soumise à la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Rien n’interdit le cumul entre le régime d’intermittent et la présidence ou l’administration d’une association mais dans la limite, notamment, que l’activité « doit rester compatible avec l’obligation de recherche d’emploi » (L.5425-8 C. trav.) à laquelle est soumis l’intermittent.

Par ailleurs, il n’en sera normalement retiré aucun revenu : c’est une activité bénévole. Dans les cas où la gestion de l’association est d’une ampleur telle qu’elle prend du temps, l’association peut rémunérer son président ou administrateur. Mais on notera qu’alors on risque d’être en contradiction avec les dispositions
que l’on vient de citer. Le risque est tout simplement la radiation à Pôle emploi.

Souvent, les compagnies de théâtre s’organisent en association. Le ou les dirigeants ne peuvent dès lors être engagés par la compagnie pour travailler en qualité d’artiste ou d’ouvrier technicien. La pédagogie étant l’art de la répétition, on rappellera pourquoi : un dirigeant de compagnie associative qui s’engagerait comme comédien serait son propre employeur, ce qui est en contradiction avec le principe du salariat où il existe un lien de subordination.

On rencontre parfois des compagnies qui ont mis à leur tête un dirigeant de paille, un prête-nom, souvent relation d’amitié ou de famille, qui signera
officiellement les décisions tandis que la direction effective est assurée par tout ou partie des membres de la compagnie. C’est évidemment illégal et le risque est important pour les membres de la compagnie de se voir qualifiés de dirigeants de fait de l’association et donc de perdre leurs droits aux allocations chômage.
À noter que c’est le même risque à agir ainsi avec une forme sociale et une gérance ou présidence de paille.

Les limites du cumul

Dans tous les cas, le métier exercé à titre complémentaire doit rester secondaire pour garder le bénéfice de l’intermittence. Que l’on fasse le choix d’avoir une
activité complémentaire en société ou en tant que micro-entrepreneur, il faut bien garder en tête que l’on ne restera indemnisé par Pôle emploi en tant qu’intermittent qu’à la condition que les revenus issus du métier d’artiste ou ouvrier technicien soit notre source principalede rémunération. En effet, les allocations d’assurance chômage ne peuvent se cumuler qu’avec des revenus issus « d’une activité occasionnelle ou réduite » (L.5425-1 C. trav.).

C’est sans trop de conséquences pour le micro-entrepreneur qui peut se contenter de surveiller son chiffre d’affaires. Mais le gérant ou président de société exerce un mandat social qui est par nature permanent et donc en contradiction avec une activité occasionnelle ou réduite. Il sera prudent d’être transparent vis-à-vis de Pôle emploi et peutêtre même de faire une demande officielle sur la possibilité du cumul (L.5312-12-2 C. trav.).

Pour finir, il faut tenir compte de l’effet des revenus sur la rémunération.  Un intermittent du spectacle peut cumuler des rémunérations issues d’une ou plusieurs activités professionnelles avec les allocations chômage dans la limite de 1,18 fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale, soit 3 428 € nets pour l’année 2021. Le plafond de la sécurité sociale est un montant de référence pris en compte pour le calcul du montant maximal de certaines prestations sociales.

Prenons l’exemple d’un intermittent percevant des allocations chômage de 3 000 euros nets et qui est aussi chef d’entreprise.

– S’il perçoit moins de :
3 428 – 3 000 = 428 € de revenus nets en tant que chef d’entreprise, il lui sera bien versé 3 000 € d’allocation chômage.
– Mais s’il perçoit plus de 428 €, cela amoindrira son allocation. Mettonsqu’il perçoit 900 euros en qualité de chef d’entreprise, il touchera :
3 428 – 900 = 2 528 € en allocation pour son intermittence.

Julien Monnier – Avocat au barreau de Nantes