Le contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) a déjà fait l’objet d’une présentation dans ces colonnes*. Nous ne reviendrons donc pas sur les éléments développés à cette occasion, lesquels restent tous d’actualité.

Le présent article fait suite au rapport Régulation des contrats à durée déterminée d’usage, enjeu de lutte contre la précarité remis à la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Élisabeth Borne, par le député LREM Jean-François Mbaye et le sénateur LREM Xavier Iacovelli, le 12 février 2021.

Le temps a passé et permet de se rendre compte que si le rapport n’est peut-être pas complètement enterré, en tous cas ses suites semblent rester bien au chaud dans les cartons du ministère. Gageons que ce ne sont pas les échéances électorales à venir qui risquent de modifier la donne. Pour autant, Le Cahier Pro a souhaité s’interroger sur les pistes de réflexion dégagées il y a un an et leur application au monde de la culture, peut-être par d’autres biais que ceux de la loi.

Une étonnante omission

ce qui nous intéresse, les articles L.1242-2 et D.1242-1 CT disposent à eux deux qu’« un contrat de travail
à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire » dans les « emplois pour lesquels […] il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois », notamment « les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique ».

Une mise en garde nous paraît devoir être faite à ce stade. À la lecture du rapport, il apparaît que celui ci  n’est pas centré sur les activités rappelées ci-dessus. Disons même qu’il les tient singulièrement à l’écart. Il est ainsi révélateur qu’elles ne soient pas même présentes dans les portraits des branches visées en annexe du rapport. Aucun partenaire social intervenant dans le cadre de ces branches n’a apporté sa contribution à l’ouvrage parlementaire.

Et si la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture a été auditionnée, il n’y pas non plus de contribution du ministère de Roselyne Bachelot visée par le rapport, si bien que l’on ignore si le propos a seulement concerné les secteurs qui nous intéressent. Cela est d’autant plus surprenant que le rapport commence par un constat chiffré éloquent. Sur un total de 9,2 millions d’embauches  en CDDU en 2019, 3,9 millions sont signés dans les arts et spectacles couverts par les annexes VIII et X du régime d’assurance-chômage, qu’il s’agisse du secteur des activités créatives, artistiques et de spectacles – 2 369 792 embauches –, de celui des productions de films cinématographiques, de vidéos et de programmes de télévision, enregistrement sonore et édition musicale – 1 262 062 embauches –, ou du secteur de la programmation et diffusion – 278 335 embauches. Soit une part largement plus importante que celle des autres secteurs concernés (intérim, restauration, publicité, etc.).

En tout état de cause, il convient donc de réfléchir posément aux recommandations du rapport qui, bien qu’elles concernent l’ensemble  des intermittents du travail à travers la généralité du CDDU, n’ont pas été élaborées de concert avec les intervenants du spectacle et de la culture. Il ne s’agit pas de prendre des distances avec ces propositions en les regardant d’ores et déjà comme étant suspectes de ne pas prendre en compte les spécificités du marché du travail dans les secteurs qui nous concernent.

Il s’agit plutôt de se demander si, au contraire, certaines recommandations ne sont pas d’autant plus intéressantes qu’elles n’auraient pas vu le jour dans un rapport consacré au recours au CDDU dans les secteurs d’activité des spectacles, de l’action culturelle, de l’audiovisuel, de la production cinématographique et de l’édition phonographique.

CDDU et conventions collectives
Sous réserve que des accords soient conclus pour encadrer les conditions de travail dans le spectacle vivant, la loi n° 2015-944 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, a conforté le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle en légalisant les annexes VIII et X au règlement général, depuis annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage. C’est ainsi que, dans le spectacle, onze accords ont été négociés depuis en allongeant la liste des métiers du spectacle vivant éligibles au CDDU. Or, plus la liste s’allonge, plus le nombre de métiers soumis à la précarité du CDD augmente. La question qui se pose est alors de savoir dans quelle mesure cet allongement est contrebalancé par des stipulations conventionnelles protectrices. Nous n’ignorons pas que les métiers des arts et spectacles possèdent déjà, au niveau légal, un cadre fiscal et social dérogatoire censé protéger les intermittents du spectacle et de la culture. Mais nous posons la question des protections amenées par la négociation collectiv elle-même.

Certes, les conventions dans les branches qui recoupent les secteurs visés à l’article D.1242-1 CT contiennent des dispositions spécifiques aux CDDU. Notamment, la liste des mentions obligatoires sur les contrats est plus importante que la liste des mentions visées à l’article L.1242-12 CT. Ainsi de l’article 7.2.1 pour la CCN du secteur privé du spectacle vivant, de l’article 19 pour la CCN de l’édition phonographique, etc. Ce ne peut être qu’une bonne chose pour l’intermittent, mais n’est-ce pas normal pour, par exemple, un salarié du spectacle vivant que de connaître par contrat son lieu de travail et le planning des représentations et répétitions ? Il n’y a rien là de très protecteur. Rien qui éloigne le spectre de la précarité chez les salariés engagés en CDDU.

Or, ce n’est pas le cas de toutes les conventions collectives qui concernent les secteurs d’activité hors spectacle et culture qui ont la possibilité d’avoir recours au CDDU. Certaines branches ont ainsi conclu des accords, qui ont d’ailleurs été étendus, sur le sujet spécifique des CDDU. Ces accords peuvent porter sur un encadrement de la durée totale des contrats, renouvellements inclus, du nombre maximal de renouvellements, avec des contreparties envisageables (mais facultatives) telles que l’indemnité de fin de contrat ou la possibilité de demander la conclusion d’un CDI suivant l’ancienneté dans l’entreprise. Ainsi des conventions des hôtels-cafés-restaurants, charcuterie de détail, boulangerie-pâtisserie, la pâtisserie, l’automobile, etc.

Quelques pistes et idées pour l’avenir
Du côté de la culture et du spectacle, le rapport oublie tout de même la convention collective de la production audiovisuelle, laquelle contient depuis de nombreuses années un article V.2.4. Celui-ci prévoit que, lorsque « la durée cumulée (en nombre de jours calendaires, décomptés du premier au dernier jour des contrats) des CDDU d’un salarié avec le même employeur, pendant une durée minimale de 3 ans, dépasse 70 % de cette durée […], l’employeur qui entend ne pas proposer au salarié un nouveau contrat à durée déterminée ou indéterminée devra l’en informer un mois au moins avant la date de fin du dernier contrat, et lui verser, s’il ne lui est pas proposé un nouveau contrat, une indemnité, qui sera au minimum, par année de collaboration continue, de 20 % du salaire mensuel moyen perçu par le salarié au cours de la période d’emploi. »
Sans même parler de l’article V.4 : « Dès lors qu’un salarié, employé en CDD d’usage, a réalisé au titre d’une même fonction plus de 180 jours de travail (d’au moins 7 heures) par année, constatés sur trois années civiles consécutives auprès d’une même entreprise, cette dernière devra proposer une offre d’emploi en contrat à durée indéterminée sur la même fonction. » Ce genre de stipulations pourraient se retrouver dans d’autres conventions liées au monde du spectacle et de la culture. Mais ce ne sont pas les seules que le rapport pourrait inspirer. Ainsi les auteurs préconisent l’inscription dans la loi du contenu de la jurisprudence nationale et européenne relative à la requalification juridique des CDDU.

Selon eux, le législateur préviendrait ainsi le recours à des CDDU successifs au profit du contrat de travail à durée indéterminée. La fonction de cette inscription serait donc à visée essentiellement pédagogique. La proposition ne manque certes pas d’intérêt car la jurisprudence peut parfois être imprécise, mal interprétée ou incomplète au regard du profane qui n’a à sa disposition que Google et non un DRH ou un avocat pour l’éclairer. Il y a néanmoins un écueil de taille : la jurisprudence est mouvante et la lenteur de l’écriture législative ne pourrait pas suivre de possibles évolutions (outre le fait que la jurisjurisprudence devrait s’articuler avec ces nouvelles règles inspirées d’elle-même). Dans ce cas, est-ce que la place d’un tel rappel des règles prétoriennes ne serait pas dans les conventions collectives ?

Ne serait-il pas pertinent que la convention du spectacle privé explique clairement que c’est l’activité principale de l’entreprise qui doit relever de l’un des secteurs où la conclusion du CDD d’usage est autorisée, et pas seulement une activité secondaire ou annexe de l’entreprise ou l’activité confiée au salarié ? Ainsi, par exemple, elle rappellerait qu’une entreprise du secteur hospitalier, secteur qui ne fait pas partie de ceux dans lesquels il est possible de conclure un CDDU, ne peut valablement embaucher un musicien en CDDU pour égayer les patients sous prétexte que l’activité confiée à ce salarié relève du secteur du spectacle visé dans la liste de l’article D.1242-1 CT. La convention de la production audiovisuelle ne pourrait-elle expliquer que le seul fait que la liste mentionne son secteur d’activité ne signifie pas que tous les emplois qui entrent dans son champ d’application peuvent donner lieu à la conclusion d’un CDDU et que seuls les emplois de nature temporaire autorisent la conclusion de tels contrats ?

La convention pourrait utilement rappeler qu’en cas de litige, le juge devra vérifier l’existence de raisons objectives au regard des éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné. Cela même si l’emploi en question se trouve dans la liste des fonctions pour lesquels le recours au CDDU est autorisé. Ainsi directeur de
production est une fonction qui se trouve parmi celles qui peuvent faire l’objet d’un CDDU en production audio-visuelle mais on ne peut valablement recourir à ce contrat si le directeur de production est concrètement attaché à l’activité permanente de l’entreprise**.

Il y a certainement d’autres idées à sortir du rapport.

Relevons que déjà les auteurs du rapport de 2015, Évaluation du contrat à durée déterminée dit d’usage de l’Inspection générale des affaires sociales, avaient appelé de leurs voeux une plus grande sécurisation des salariés en CDDU et concluent sur ce point à « l’insuffisance d’une délégation totale à la négociation collective, sans expression par la loi de principes fondamentaux clairs ni d’objectifs à cette négociation ». Avec le rapport Régulation des contrats à durée déterminée d’usage, enjeu de lutte contre la précarité, cela fait donc deux appels récents à ce que la loi contraigne la négociation collective à avancer sur ces points. Sans effet jusqu’à présent sur le législateur. Et si les acteurs du dialogue social démontraient qu’ils n’ont pas besoin d’un carcan législatif pour avancer sur ces questions ?

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes

* « Le contrat d’usage », dans Le Cahier Pro,n° 1, janvier-février 2020.
** Cour d’appel de Paris, 18 février 2021, RGn° 17/02712.