« Les sommes perçues par l’agent artistique en contrepartie des missions définies à l’article R.7121-1, autres que celles mentionnées au second alinéa de l’article D.7121-8, ne peuvent excéder un plafond de 10 % du montant brut des rémunérations définies au premier alinéa. »

Les dispositions de l’article D.7121-7 du Code du travail que l’on vient de citer nous apprennent deux choses. D’une part, que les fanatiques d’Andréa Martel, Mathias Barneville et autres Gabriel Sarda ou Arlette Azémar peuvent être rassurés sur l’exactitude du titre de leur série préférée : les agents artistiques perçoivent bien 10 % des rémunérations que gagne l’artiste. D’autre part, que le métier d’agent artistique est soumis à une réglementation spécifique et technique dont il peut être nécessaire que les artistes aient connaissance avant de choisir l’un d’entre eux comme impresario, manager, agent, ou quel que soit le terme par lequel l’agent artistique est désigné.

Un peu d’histoire
À partir d’une loi n° 69-1185 du 26 décembre 1969 et de son décret d’application n° 71-971 du 3 décembre 1971, la profession a été réglementée par l’obligation de posséder une licence administrative qui était délivrée par une commission s’intéressant à « la personnalité, la moralité et les activités professionnelles des intéressés ». Transposée ensuite à l’article L.7121-9 du Code du travail, cette licence a été supprimée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 qui a créé un registre national des agents artistiques sur lequel, loin de la France de De Gaulle et de Pompidou, l’inscription était de droit. Puis c’est la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 qui, par l’intermédiaire de l’ordonnance n° 2015- 1682 du 17 décembre 2015, a conduit à la suppression de ce registre. 

Si les historiens apprécieront ce bref rappel pour ce qu’il est, les autres y apprendront surtout que désormais, tout un chacun peut lancer une activité d’agent artistique. Seul le producteur d’oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles reste interdit d’exercer ce métier (L.7121-9 al. 3 du Code du travail).

Les missions de l’agent artistique

Selon l’article L.7121-9 du Code du travail, être agent artistique « consiste à recevoir mandat à titre onéreux d’un ou de plusieurs artistes du spectacle aux fins de placement et de représentation de leurs intérêts professionnels ».

L’article R.7121-1 du même Code précise que « l’agent artistique représente l’artiste du spectacle. À cette fin, il exerce notamment les missions
suivantes :
– 1° défense des activités et des intérêts professionnels de l’artiste du spectacle ;
– 2° assistance, gestion, suivi et administration de la carrière de l’artiste du spectacle ;
– 3° recherche et conclusion des contrats de travail pour l’artiste du spectacle ;
– 4° promotion de la carrière de l’artiste du spectacle auprès de l’ensemble des professionnels du monde artistique ;
– 5° examen de toutes propositions qui sont faites à l’artiste du spectacle ;
– 6° gestion de l’agenda et des relations de presse de l’artiste du spectacle ;
– 7° négociation et examen du contenu des contrats de l’artiste du spectacle, vérification de leur légalité et de leur bonne exécution auprès des employeurs. »

On constate ici que les missions de l’agent artistique sont importantes. Il faut néanmoins faire observer que les textes sont involontairement trompeurs. Reprenons les termes. L’article L.7121-9 évoque que l’agent se voit confier un « mandat ». Or, qui dit mandat dit que le mandataire, l’agent, peut contracter au nom de l’artiste, qui se trouve ainsi engagé par les positions de son agent. Cette lecture est confortée par
l’article R.7121-1 qui précise que « l’agent artistique représente l’artiste ». Mieux encore, cet article indique que l’agent a pour mission la « conclusion des contrats de travail pour l’artiste du spectacle » ! 

Mais la jurisprudence a un autre point de vue et considère plus pragmatiquement que l’agent artistique est « un intermédiaire » (Cass. com. 16 avril 2013, pourvoi n° 11-24.018, pour un exemple récent). Autrement dit, ce sur quoi l’agent contracte n’engage que lui. Et il ne représente pas son client au sens classique du mandat du Code civil. Il paraît assez évident et sain qu’un artiste ne puisse se retrouver obligé de
réaliser une prestation à laquelle il n’a pas personnellement consentie. Sur ce point, les textes ne sont pas réalistes et il serait pertinent de les réécrire pour être en phase avec la réalité.

Pour autant, le contrat liant agent et artiste pourra stipuler clairement que l’agent peut signer à la place de l’artiste. La prudence impose alors que la signature de l’agent engageant valablement l’artiste ne peut être apposée que sur ordre express de l’artiste et après qu’il a pu prendre connaissance du contrat proposé (avec la technologie qui est la nôtre, pourquoi un artiste ne pourrait pas signer à distance son contrat et devrait confier un mandat express à son agent pour le faire
relève du mystère).

La question se pose également de l’intensité des missions qui pèsent sur l’agent artistique. Est-il soumis à des obligations de moyen ou de résultat ? Dans l’absolu, cela dépend du contrat le liant à l’artiste et de sa rédaction. Mais en pratique, on voit mal un agent s’engager fermement à faire d’un artiste une star, quitte à engager sa responsabilité s’il n’y parvient pas. Les contrats par lesquels les agents sont engagés décrivent donc des missions pour lesquelles ils s’engagent à faire de leur mieux pour les assurer. Aucun agent ne s’engage à ce que le comédien obtienne un rôle ; il promet seulement de faire son possible pour que le comédien participe à l’audition.

Mais alors, comment l’artiste peut-il s’assurer que son agent accomplit sa mission ? Il faut tout d’abord rappeler que le contrat qui lie artiste et agent est fondé sur la confiance. C’est aussi un contrat qu’on dit conclu intuitu personae, c’est-à-dire que la personnalité de l’agent et celle de l’artiste sont la cause du contrat. Avant d’engager un agent, il faut donc le connaître, directement ou au moins de réputation. La confiance n’excluant pas le contrôle, il est indispensable de prévoir dans le contrat que l’artiste puisse demander à l’agent des comptes rendus sur ses activités. C’est d’ailleurs une clause rendue obligatoire par l’article R. 7121-6 du Code du travail. De même, il est avisé de la part de l’artiste d’interdire que le contrat puisse faire l’objet d’une sous-traitance par une autre personne que l’agent ou que l’agent puisse céder le contrat.

Autre problématique en rapport avec le lien de confiance : l’agent artistique travaille nécessairement avec plusieurs artistes. En conséquence, il peut avoir deux artistes qui ont exactement la même casquette (deux magiciens spécialistes du close-up, par exemple). Il nous semble impératif que le contrat prévoie que l’agent doive informer l’artiste qui l’engage qu’il a déjà une personne du même profil dans son écurie. Ou bien, qu’en cas d’engagement ultérieur d’un profil comparable, l’artiste précédemment engagé soit informé.
Ne soyons pas naïfs. Certains agents peu scrupuleux vont s’engager envers un artiste afin de l’empêcher de rejoindre un autre agent et éviter ainsi qu’il fasse de l’ombre à un autre de ses poulains. Évidemment, prouver cette attitude dommageable est quasiment impossible. D’où la nécessité de pouvoir savoir ce que fait concrètement son agent en insérant les bonnes stipulations dans le contrat.

Les obligations de l’artiste

Si l’artiste a engagé un agent et que celui-ci doit montrer patte blanche, l’artiste a lui aussi des obligations envers son agent. Avant tout, il semble assez évident que l’artiste ne doit avoir qu’un seul agent. Sur ce point, les contrats liant agent et artiste sont bien pensés si une clause d’exclusivité est présente. En l’absence même de cette clause, le contrat devant être négocié, formé et exécuté de bonne foi, l’artiste doit s’abstenir d’être en lien avec deux agents ou, à tout le moins, doit les informer de cette situation. Précisons que lorsqu’un artiste a plusieurs casquettes (comédie et chant, par exemple), il peut plus sereinement engager deux agents, chacun dans son domaine, lequel sera visé au contrat. 

Autre obligation, l’artiste doit considérer les propositions de son agent. S’il n’y a aucune responsabilité de sa part à refuser une proposition de travail de son agent, il doit néanmoins s’y intéresser un minimum. Concrètement, l’agent n’a aucun moyen de contrôle de l’implication de son artiste ; seul le lien de confiance qui les unit est ici en jeu, donc l’existence même de leur relation.
Autre facette de cette obligation qu’a l’artiste de coopérer, il doit tenir son agent informé des propositions qui lui seraient faites directement. C’est à l’agent de faire les négociations et donc il doit être mis dans la boucle par son artiste. Cette obligation est renforcée en cas d’exclusivité de son agent. Enfin, nous l’avons évoqué en accroche de cet article, l’artiste doit rémunérer son agent. Ce dernier reçoit un pourcentage des rémunérations perçues par l’artiste. Le plafond est de 10 % maximum (net de taxe ou hors taxes) et c’est généralement le taux que l’on retient dans un contrat. Par exception, si l’artiste travaille dans un domaine où les usages professionnels le permettent, le plafond est de 15 %.

C’est notamment le cas dans le domaine des musiques actuelles. Le contrat de travail de l’artiste doit prévoir qui concrètement paye l’agent, de l’artiste ou de son employeur. Par ailleurs, il est bienvenu que le contrat liant artiste et agent soit précis sur l’assiette des rémunérations à prendre en compte (cachets, droits voisins, revenus de merchandising, etc.). 

Le contrat liant agent et artiste doit aussi s’intéresser aux modalités de remboursement des frais de l’agent. Il est par exemple utile de rappeler que les frais de fonctionnement de l’agent – du type loyer, téléphone, photocopies ou autres dépenses usuelles – sont exclus de toute demande de remboursement. Surtout, il est conseillé de prévoir que seuls peuvent faire l’objet d’une demande de remboursement les frais exposés avec l’accord préalable de l’artiste.

La place nous manquant, nous n’évoquerons qu’en passant la nécessité d’insérer des clauses sur l’utilisation des données personnelles et le RGPD, sur les droits à l’image, sur l’étendue spatiale du contrat, etc.

La fin du contrat

Dernière stipulation obligatoirement insérée dans le contrat : « le terme du mandat ou les autres modalités par lesquelles il prend fin », nous indique l’article R. 7121-6 du Code du travail. Puisque nous sommes sur un contrat n’existant que par la confiance, il faut des modalités de rupture qui soient simples et qui ne prévoient pas des délais excessifs, de façon à ne pas tenir les parties enfermées dans une relation dont elles veulent sortir. Néanmoins, il faut réfléchir à l’utilité de prévoir une clause résolutoire par laquelle la partie mécontente doive exiger de l’autre qu’elle accomplisse ses obligations dans un certain délai, avant de lui permettre de rompre le contrat – ou encore à insérer une clause de médiation préalable à la rupture.

Enfin, il est prudent pour l’agent comme pour l’artiste de prévoir la rémunération de l’agent si un contrat de travail est signé par l’artiste après la rupture du mandat en raison des diligences accomplies par l’agent en amont de la rupture. En conclusion, le métier d’agent artistique étant ouvert à n’importe qui, les agents sérieux et les artistes sérieux ont tout à gagner à penser correctement les contrats qui les unissent. 

Clément Monnier