L’actualité nous apporte un exemple très médiatique pour illustrer les deux types de droits qui composent le droit d’auteur. C’est l’annonce du grand retour (ou pas) de Gaston Lagaffe.

Gaston Lagaffe naît en 1957 dans les pages du journal Spirou. C’est Franquin, dessinateur de Spirou et Fantasio, du Marsupilami et du Petit Noël, qui est à l’origine de ce héros sans emploi. Franquin possède donc les droits d’auteur sur Gaston.

Autrement dit, il en possède le droit moral (L.121-1 et s. Code de la propriété intellectuelle), à savoir le droit de divulgation, de paternité, le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre et le droit de retrait et de repentir. Ces droits sont perpétuels, incessibles et inaliénables : ils appartiennent pour toujours à l’auteur, puis à ses ayant-droits. Franquin possède aussi le droit patrimonial (L.122-1 et s. Code de la propriété intellectuelle), autrement dit le droit de représentation et de reproduction. Ces droits sont limités dans le temps, jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, et peuvent être vendus : on parle alors de cession de droits. C’est ce que fait Franquin au coup par coup avec Dupuis pour la publication des albums.

Franquin utilise aussi ses droits en 1981 à l’occasion de la production du film, qui ne vaut pas un clou, Fais gaffe à la gaffe de Paul Boujenah. L’auteur autorise l’équipe du film à exploiter la situation et les gags de Gaston, mais pas Gaston lui-même. L’exploitation des termes « la gaffe » dans le titre et le visuel de l’affiche plaisent assez peu à Franquin qui en reste pourtant là (l’époque et le rapport au droit ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui).

En 1986, Franquin vend ses droits d’auteur, donc uniquement ses droits de représentation et de reproduction, à l’éditeur Marsu Productions. Cette cession concerne non seulement les albums mais aussi, on le supposera facilement par la suite, les personnages eux-mêmes, Gaston et ceux qui l’entourent : Lebrac, Jules-de-chez-Schmidt-en-face, Mademoiselle Jeanne, etc. Je précise que la rédaction de ces contrats est importante pour qu’elle permette d’exploiter tranquillement les personnages dans des adaptations, des remake, des suites, des prequel, etc.

Franquin nous quitte en 1997, son droit moral étant alors transmis à sa fille Isabelle.

En 2011 et 2012, Marsu Productions édite deux albums de Gastoon, qui n’est autre que le neveu de Gaston. Il s’agit d’un produit dérivé rendu possible par la cession du droit patrimonial. Isabelle Franquin n’a rien à y redire puisque son père a vendu cette possibilité à l’éditeur et que cela ne touche pas à Gaston lui-même.

En 2013, Dupuis rachète Marsu Productions et donc avec les droits de Gaston. Or, Dupuis produit en 2018 le film Gaston Lagaffe réalisé par Pierre-François Martin-Laval. Isabelle Franquin désapprouve le film en raison de sa qualité qu’elle estime médiocre mais là encore, le droit moral qu’elle possède n’est pas à même d’empêcher cette adaptation permise par la cession des droits d’adaptation.

Mais arrive le festival d’Angoulême 2022 : Dupuis y annonce le grand retour de Lagaffe en album et sa prépublication dans le journal Spirou à partir du 6 avril. Mais cette fois-ci, la donne n’est pas la même. Car Franquin a clairement exprimé de son vivant sa volonté que personne ne reprenne Gaston après lui. Le droit de représentation de l’éditeur trouve donc sans doute là une limite dans le droit moral exercée par la fille de l’auteur. Isabelle Franquin a ainsi marqué son opposition et proposé un arbitrage pour trancher la querelle sur le fond. Elle a saisi la justice belge pour empêcher en urgence toute prépublication, promotion ou diffusion des nouveaux gags. Ne cherchez pas Gaston dans le Spirou du 13 avril : si l’audience n’aura lieu qu’en mai, les éditions Dupuis ont déjà annoncé que la prépublication était suspendue.

Julien MONNIER – Avocat au Barreau de Nantes