Le nouveau décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) a été adopté le 22 juin 2021. Succédant à celui du 12 novembre 2010, il innove par les obligations d’investissement qu’il met à la charge des services, même lorsqu’ils sont établis à l’étranger.

Une importante innovation

C’est la grande nouveauté : les services qui ne sont pas établis en France et qui n’en relèvent pas vont désormais être obligés d’investir dans le cinéma et l’audiovisuel français et européens, sur le fondement des règles françaises. Le décret du 22 juin 2021 soumet en effet les médias audiovisuels concernés aux obligations de financement prévues par le droit français sous réserve qu’ils proposent leurs services en France et qu’ils relèvent de la compétence d’un autre pays de l’Union européenne.
Auparavant, le droit applicable en matière d’obligations d’investissement était le droit du pays d’établissement du service (les Pays-Bas pour Netflix par exemple) et non les règles posées par le pays où le service est proposé. C’est la directive européenne relative aux services de médias audiovisuels, modifiée par une directive du 14 novembre 2018, qui a permis à l’État membre d’imposer des obligations d’investissement aux SMAD qui y proposent leurs services tout en étant établis dans un autre État-membre.
Le nouveau décret SMAD vise les services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), à l’acte, gratuit et les services de replay des chaînes de télévision. Seuls les services les plus modestes sont exclus des obligations d’investissement : il en
va ainsi des SMAD qui réalisent un chiffre d’affaires annuel net inférieur à 5 millions d’euros et dont l’audience est inférieure à 0,5 % de l’audience totale en France de la catégorie de SMAD (VOD à l’acte, SVOD, VOD gratuite) dont ils relèvent. Soulignons enfin que la responsabilité éditoriale du service (la sélection et l’organisation des programmes) doit toutefois relever de l’éditeur : les services de partage de vidéo de type YouTube ou Instagram ne sont en conséquence pas soumis au décret SMAD.

Comment se calculent les obligations d’investissement ?

L’obligation d’investissement est calculée sur la base du chiffre d’affaires annuel du SMAD précédant l’année d’investissement. Seul le chiffre d’affaires (CA) réalisé en France est pris en compte. En sont déduits la TVA, la taxe vidéo et les frais de régie publicitaire pour les services diffusant de la publicité. Les SVOD se voient appliquer un taux de 20 % ou 25 %. Le taux de 25 % est retenu lorsqu’un service par abonnement diffuse ne serait-ce qu’une seule fois un film sorti dans les salles de cinéma françaises, ce moins de douze mois après sa sortie. Dans les autres cas, le taux n’est que de 20 %. Les services de vidéo à la demande à l’acte et les services gratuits se voient pour leur part appliquer des taux de 15 % à investir dans les oeuvres cinématographiques et 15 % dans les oeuvres audiovisuelles. Le pourcentage est calculé par rapport au CA réalisé l’année précédente pour chaque catégorie d’oeuvres : le CA réalisé avec les oeuvres audiovisuelles permet ainsi de calculer le pourcentage à investir dans les oeuvres audiovisuelles ; la règle est la même pour les oeuvres cinématographiques. 

Comment doivent se répartir les investissements ?
Les investissements des SMAD doivent être répartis dans plusieurs catégories afin de pouvoir être comptabilisés au titre des obligations posées par le décret. Les services établis en France devront obligatoirement conclure des conventions avec le CSA qui préciseront les obligations d’investissement ainsi que leur répartition. Pour les services établis à l’étranger, la conclusion d’une telle convention sera seulement facultative : à défaut de convention, les obligations incombant à ces services seront fixées par des cahiers des charges édictés par CSA.

Pour les SVOD, la part des investissements ne pourra pas être inférieure à 30 % dans le cinéma si le service est concerné par le taux de 25 % d’obligation d’investissement. Pour les services de VOD à l’acte et de VOD gratuite, les taux sont fixés par le décret et sont de 15 % du CA dans le cinéma et de 15 % du CA dans l’audiovisuel. Les SVOD devront investir dans des oeuvres d’expression originale française et des oeuvres européennes. Au moins 85 % des investissements devront porter sur des oeuvres d’expression originale française  : ce taux n’est pas global mais concerne chaque catégorie (oeuvres audiovisuelles / oeuvres cinématographiques).

Le CSA pourra toutefois augmenter ou diminuer ce taux sans pouvoir descendre en dessous de 60 % d’investissement dans des oeuvres d’expression originale française. Pour ce qui est des services à l’acte et des services gratuits, 12 % des 15 % d’obligations d’investissements doivent être consacrés à des oeuvres d’expression originale française, soit 80% des investissements dans chaque catégorie d’oeuvres.

 Quelles dépenses d’investissement ?
Les dépenses qui permettront aux SMAD de remplir leurs obligations d’investissement peuvent être de nature très diverse. On trouve parmi elles l’achat de droit d’exploitation ou les investissements en parts de producteur effectués avant la fin des prises de vue pour les oeuvres audiovisuelles et avant le début des prises de vue pour les oeuvres cinématographiques. Constitue également des dépenses d’investissement le financement de travaux d’écriture et de développement.

Sont également des dépenses entrant dans l’obligation d’investissement celles relatives au doublage, au sous-titrage et à la promotion des oeuvres prises en compte au titre de l’obligation, dans la limite de 2,5 % du montant total de l’obligation. Laquelle est calculée, rappelons-le, par référence à un pourcentage du CA. Constituent enfin des dépenses d’investissement le financement de la formation des auteurs, dans la limite de 2,5 % du montant total de l’obligation, et enfin la sauvegarde, la restauration ou la mise en valeur des oeuvres du patrimoine cinématographique et audiovisuel d’expression originale française.

Le non-respect des obligations d’investissement sera-t-il sanctionné ?
Il le sera effectivement mais de façon différente selon que le service est établi en France ou à l’étranger. Pour les services établis en France ou relevant de la compétence de la France, le CSA sera compétent, dans le cadre de la loi du 30 septembre 1986, pour contrôler les obligations d’investissement. En cas de manquement, il pourra intervenir par le biais de mises en garde ou de mises en demeure, puis de sanctions.

Pour les services établis à l’étranger, qui n’agissent pas sous le contrôle du CSA et ne sont pas soumis à la loi de 1986, le CSA pourra directement prononcer une sanction pécuniaire. Le montant maximal de cette sanction ne pourra excéder deux fois (trois fois en cas de récidive) le montant de l’obligation devant être annuellement consacrée à la production. 

Quel impact pour la création française et européenne ?
L’impact devrait être très positif : les plates-formes américaines qui jusqu’ici ne relevaient pas du droit français en matière d’obligations d’investissement vont en effet devoir investir près de 200 millions d’euros par an dans la filière française et européenne, dont 85 % dans les oeuvres d’expression originale française.

Les producteurs indépendants de la filière audiovisuelle en bénéficieront largement. De même, la filière cinématographique recevra plusieurs dizaines de millions d’euros des platesformes de type Disney +, Netflix ou Amazon : ces sommes financeront les projets qui ne sont pas encore tournés alors que, jusqu’à présent, les SVOD se limitaient à acquérir des oeuvres cinématographiques existantes.

Frédéric Dieu