Les photos de plateau : œuvres de l’esprit ?

 L’article L.122-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Autrement dit, il n’y a de propriété intellectuelle que pour une œuvre de l’esprit. Une photographie est potentiellement une œuvre de l’esprit protégé par le droit d’auteur (L.112-2 CPI). Encore faut-il que cette œuvre soit originale. C’est-à-dire qu’il doit y avoir quelque chose de personnel apporté par le créateur à son œuvre. C’est une condition qu’on appelle prétorienne : elle est créée par la jurisprudence et ne se retrouve pas inscrite dans la loi.

Les photographies de plateau, sous-entendu de plateau de cinéma, ont été l’objet de débats pour savoir s’il s’agissait ou non d’œuvres de l’esprit et donc si le photographe pouvait revendiquer des droits sur la photo. Sur les plateaux de cinéma, le photographe a une place à part entière puisqu’il est salarié de la production. Il est défini par la convention collective de la production cinématographique comme celui qui « Exécute, en accord avec le réalisateur, le directeur de la photographie et le producteur, les photos du film pour la production, en vue de l’exploitation et de la promotion du film. Il est responsable de leur qualité technique et assure la compatibilité des supports photographiques » (art. 2 titre II CCN production cinématographique). Il a donc une place différente du photographe de plateau de théâtre ou de danse, lesquels sont plus usuellement des indépendants. En tous cas, leur rôle n’est pas prévu dans les conventions collectives du spectacle vivant.

Une chose est certaine : ce n’est pas la présence d’un contrat de travail qui change l’analyse sur l’existence ou non d’une œuvre de l’esprit. Le Code de la propriété intellectuel indique formellement que l’existence d’un contrat ne retire en rien les droits qu’a un auteur sur son œuvre. Il en découle qu’un salarié a des droits sur les œuvres qu’il créé dans le cadre de son travail. Pour transférer la titularité des droits de l’auteur vers une autre personne, il faut en passer par une clause de cession de droits incluse dans le contrat de travail ou par un contrat de cession de droits indépendant. A défaut de mettre en place ces outils, le photographe est l’auteur de la photo.

Encore faut-il qu’il s’agisse d’une œuvre. Il a pu être décidé par la jurisprudence que la prestation du photographe n’est que technique. Il prendrait la photo alors que la lumière, le décor, les acteurs en place, leur position, etc., a été décidée par le réalisateur. La jurisprudence s’est infléchie et a ouvert la possibilité pour les photographes de démontrer l’originalité de leur œuvre, la façon dont ils avaient apporté une empreinte personnelle.

Dans un arrêt du 16 février 2011 (RG n° 09/08190), la Cour d’appel de Paris a pu dégager des critères pour trancher la question de cette originalité. Ainsi, est-ce que les attitudes ou les positions des personnages sont distinctes de celles des scènes du film dont les clichés s’inspirent ? Est-ce que les photographies ne correspondent à aucune scène du film ? Ou est-ce qu’elles s’en distinguent par les éclairages, les angles, le cadrage ou la profondeur de champ ? Si les réponses apportées sont positives, alors c’est un indice pour établir l’originalité de l’œuvre. Un arrêt postérieur du 30 mars 2011 de la même cour d’appel (RG n° 09/09327) globalise cette approche en indiquant que la photographie, pour être une œuvre du photographe, doit procéder « de choix techniques, esthétiques et artistiques indépendants de ceux opérés par le réalisateur ».

Un jugement du TGI de Nanterre du 7 février 2013 (RG n° 10/08701) applique ce raisonnement pour en déduire que les photographies se sont bien distinguées des choix du réalisateur et ont donc un caractère personnel à leur auteur.

Le débat ne semble se faire que dans le monde du cinéma. Pourtant, il est exactement le même pour le spectacle vivant. L’absence de litige pour les photos de théâtre, de cirque, de magie, d’opéra, et j’en passe, tient sans doute au caractère plus discret de ces milieux par rapport à celui du grand écran.

Merci au blog Droit et photographie tenu par ma consœur Joëlle Verbrugge de permettre à tous, par ses articles, l’accès aux références jurisprudentielles.

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes