La loi du 25 octobre 2021 a créé à l’article L. 333-10 du code du sport un dispositif destiné à lutter contre les retransmissions non autorisées de manifestations sportives sur internet. En ligne de mire : le streaming illégal. Le dispositif se révèle très efficace comme le montrent les deux premières décisions de justice rendues sur ce point par le tribunal judiciaire de Paris.

 Le dispositif créé par la loi

Distinguons d’abord, parmi les titulaires de droits audiovisuels, les organisateurs des manifestations sportives d’une part, les diffuseurs de ces manifestations d’autre part. Les premières victimes du piratage audiovisuel sont les organisateurs de manifestations sportives et fédérations mentionnés à l’article L. 333-1 du code du sport. Ils jouissent d’un droit de propriété sur l’exploitation audiovisuelle des manifestations qu’ils organisent et commercialisent ce droit de retransmission de façon exclusive à de multiples diffuseurs. C’est la principale source de financement de nombreux sports.

Les diffuseurs, qui sont des entreprises de communication audiovisuelle, investissent des sommes très importantes afin d’acquérir ces droits exclusifs et d’offrir à leurs abonnés l’exclusivité et la retransmission en direct des rencontres sportives. Or, un tel modèle économique n’est pas viable si ces rencontres font l’objet de diffusions accessibles gratuitement en direct au grand public : disparaissent alors en effet l’exclusivité et l’intérêt de souscrire un abonnement pour voir les rencontres.

La loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique a en conséquence créé à l’article L. 333-10 du code du sport une procédure destinée à lutter contre cette concurrence par le streaming.

Désormais, l’organisateur et/ou le diffuseur de manifestations sportives peuvent saisir le président du tribunal judiciaire (TJ) en cas d’atteintes graves et répétées au droit d’exploitation audiovisuelle prévu à l’article L. 333-1 du code du sport ou au droit voisin d’une entreprise de communication audiovisuelle prévu à l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle (s’agissant d’un programme constitué d’une manifestation ou d’une compétition sportive) ou encore à un droit acquis à titre exclusif par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle d’une compétition ou manifestation sportive. Sont visés par cette procédure les services de communication au public en ligne qui diffusent sans autorisation des compétitions ou manifestations sportives.

Le président du TJ peut alors ordonner des mesures de blocage ou de retrait ou de déréférencement, afin d’empêcher l’accès à partir du territoire français à tout service de communication au public en ligne diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive en cause. Cette procédure répond aux besoins des titulaires de droits audiovisuels confrontés à une multiplicité de retransmissions illégales via des « sites miroirs ». Elle donne lieu à une décision actualisable qui permet de lutter contre la pratique des pirates consistant à recréer en un temps bref de nouveaux sites avec des adresses URL quasiment identiques aux précédentes, dits sites miroirs.

Le titulaire des droits concernés communique à l’ARCOM les données d’identification du service en cause. Lorsque celle-ci constate une diffusion non autorisée de la compétition ou de la manifestation sportive, elle notifie les données d’identification de ce service aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) pour leur permettre de le bloquer en application de la décision de justice.

Les premières applications de ce dispositif

Par deux ordonnances des 20 et 28 janvier 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a ordonné, à la demande des diffuseurs exclusifs des rencontres sportives, le blocage de vingt-neuf sites de streaming illégal sur le fondement de l’article L. 333-10 du code du sport. Dans la première affaire, il a été saisi par la société beIN Sports France qui demandait le blocage de dix-huit sites de streaming retransmettant en direct la Coupe d’Afrique des Nations. Dans la seconde affaire, il a été saisi par la société Groupe Canal+ qui demandait le blocage de onze sites de streaming retransmettant en direct des matches du TOP 14.

Dans ces deux affaires, le tribunal constate d’abord qu’il était possible de visionner en direct les matches de la Coupe d’Afrique des Nations et du TOP 14 via un service de communication en ligne ayant pour objectif principal la diffusion de ces compétitions sportives. Il ajoute que l’usage de ce service était aisé pour l’utilisateur francophone.

Par ailleurs, le tribunal relève que certains des sites de streaming concernés font appel aux services de prestataires leur permettant une anonymisation intégrale du site.

Il en conclut que les sociétés beIN et Canal+ établissent « de manière suffisamment probante que les sites litigieux permettent aux internautes d’accéder, sans autorisation, à des manifestations et compétitions sportives sur lesquelles la demanderesse détient des droits exclusifs d’exploitation audiovisuelle, ce qui constitue des atteintes graves et répétées au sens de l’article L. 333-10 du code du sport, ces atteintes étant commises au moyen de différents services dont l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions sportives ».

Le tribunal ordonne alors des mesures particulièrement rapides et efficaces.

Il enjoint en effet aux FAI de mettre en œuvre, au plus tard dans un délai de trois jours suivant la signification de la décision de justice, toutes mesures propres à empêcher, et ce jusqu’à la fin du dernier match de la Coupe d’Afrique des Nations 2021 et du TOP 14, l’accès aux sites de streaming.

 Pour leur part, les fournisseurs d’accès à l’internet assignés par beIN et Canal+ ne s’opposaient pas à la mesure de blocage sollicitée par l’entreprise de communication audiovisuelle mais demandaient qu’un délai minimum de trois jours leur soit accordé pour la mise en œuvre d’une telle mesure. Ils demandaient également que les coûts de cette mesure ne soient pas laissés entièrement à leur charge et qu’en cas de difficultés d’exécution, ils puissent saisir la juridiction. Sur tous ces trois points, le tribunal a fait droit à leurs demandes. Concrètement, les coûts de blocage seront partagés entre les titulaires des droits de diffusion (beIN et Canal+) et les FAI en application de l’accord qu’ils ont conclu sous l’égide de l’ARCOM.

Au total, ces deux premières décisions de justice montrent que le dispositif créé par la loi du 25 octobre 2021 permet à tous les titulaires de droits audiovisuels de faire cesser le préjudice lié aux retransmissions illicites de manifestations sportives en obtenant du juge, dans des délais très courts, le blocage des services de communication opérant ces diffusions illicites ainsi que leurs sites miroirs. Dans ce cadre, l’ARCOM joue un rôle essentiel d’intermédiaire entre les titulaires des droits audiovisuels et les FAI, notamment en ce qui concerne la répartition des coûts de mise œuvre des blocages ordonnés par le juge.

Frédéric Dieu