Harcèlement et enquête

La prévention du harcèlement moral fait depuis plusieurs années déjà l’objet d’un arsenal législatif. Le Code du travail dispose « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (L.1152-1 C. trav.) Au versant répressif de la loi, il est rappelé que « Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire » (L.1152-5 C. trav.) La Cour de cassation impose que le harcèlement soit nécessairement constitutif d’une faute grave et non pas d’une simple cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc., 5 mars 2002, pourvoi n° 00-40.717).

 Lorsque l’employeur est confronté à une situation de harcèlement d’un de ses salariés envers un autre salarié, il lui est impératif de devoir réagir. L’obligation de santé et sécurité qui pèse sur l’employeur l’oblige à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de mettre fin au harcèlement et de sanctionner son auteur (L.4121-1 et L.4121-2 C. trav.) A défaut, il se rend responsable d’un manquement à ses obligations, ce qui se finira inévitablement par se retourner contre lui.

 La question principale pour l’employeur sera de s’assurer qu’il y a bel et bien une situation de harcèlement et de s’en assurer la preuve pour pouvoir mettre à pied et licencier le salarié fautif. Il y a en matière prudhommale un principe de liberté de la preuve et la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts en quelques mois sur le recours à une enquête pour établir la réalité de la situation et, si tel est le cas, la preuve du harcèlement.

 Le 17 mars 2021 (Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 18-25.597), la chambre sociale a dû se poser une question par rapport à une enquête menée par un organisme extérieur à l’entreprise. A savoir, est-ce que le salarié suspecté doit être tenu informé de l’existence de l’enquête ? La Cour répond par la négative. Elle établit d’une part que l’enquête n’est pas un dispositif de collecte des informations personnelles au salarié qui doit être porté préalablement à la connaissance de celui-ci, écartant l’application de l’article L.1222-4 C. trav. D’autre part, elle indique que cette enquête n’est pas en elle-même un procédé déloyal, même si le salarié suspecté n’est pas au courant, ce qui est une limite classique à la liberté de la preuve. Tant que l’enquête se contente de collecter des informations, elle est dans les limites admissibles. Il en serait sans doute autrement si les enquêteurs provoquaient le salarié suspect pour qu’il commette des faits de harcèlement. La Cour a enfoncé le clou plus récemment en indiquant que le salarié n’a ni à être informé de l’enquête, ni a fortiori à avoir accès aux pièces du dossier ou à être confronté aux collègues qui le mettent en cause (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 20.22-220).

 Le même jour, la Cour complète sa jurisprudence concernant les rapports d’enquête (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-11.437). Concernant tout à la fois des faits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, l’enquête est cette fois-ci interne, réalisée par le service d’inspection générale d’une banque. La Cour rappelle une limite qui va aussi de soi : les investigations ne peuvent pas être illicites. Dans ce cadre, la tâche du juge reste toujours d’apprécier la valeur probante du rapport d’enquête, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties. Mais il ne peut écarter un rapport qui fait état de faits de nature à caractériser un harcèlement pour n’importe quel motif. Ainsi, l’enquête peut n’avoir entendu que les salariés plaignants et non tous les collaborateurs du suspect (ce qui avait déjà été dit : Soc., 8 janv. 2020, pourvoi n° 18-20.151). Peu importe que, cette fois-ci entendu, les temps d’audition du salarié suspect ne soit pas précisé ou que les représentants du personnel ne soient pas informés (ce qui là aussi sera redit : Soc., 1er juin 2022, pourvoi n° 20.22-058)

Julien Monnier – Avocat au Barreau de Nantes